J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 29 novembre 2013

L'esprit des ruines






La ruine contient deux œuvres: celle qu'elle était, celle qu'elle est devenue. Dans cet écart jouent deux regards divergents: celui de l'archéologue qui aspire à redécouvrir l'intégrité de l'édifice, celui du romantique qui lit la mort et le temps. Aujourd'hui, nous considérons non seulement leur pouvoir d'évocation mais les ruines elles-mêmes, leur âge et leur histoire. Et on pourrait penser que le "plaisir" si cher à Diderot signifie bien peu pour le savant. Mais chacun peut vouloir apprivoiser les monuments déchus pour y voir non plus les traces de la barbarie mais celles de l'art. Et, dans l'absence, le sens peut se révéler.
"Les choses mutilées, par là-même sont laides", proclamait saint Thomas d'Aquin, qui voyait dans l'intégrité la première des qualités indispensables à la beauté. Cette affirmation fit autorité pendant des siècles. Puis on arriva à découvrir les ruines plus belles que le bâtiment achevé. Et le photographe , par son procédé révélateur, en vivant des moments sensibles qui le projettent à la fois dans l'instant et, l'infini, fut appelé à en témoigner. A un autre titre que l'archéologue, et bien souvent à ses côtés.
(...)
Il faut donc s'abandonner au pouvoir qu'exercent sur notre esprit les ruines d'un prodigieux passé. Si on " se tient à distance en mettant la main sur la bouche", comme le préconisent les Lamentations bibliques, ce pouvoir révèle son fondement mystique. Nous sommes alors des héritiers muets de stupeur. Les épisodes historiques se mêlent aux légendes et aux rêves.

Ferrante Ferranti " L'esprit des ruines" ( Editions du Chêne 2005)

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