J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

jeudi 26 août 2021

L'absence

 


À partir de maintenant le voyage continue à pied. À partir d'ici, nous allons marcher et non plus rouler. Dans tous ces véhicules, il n'y a aucun départ, aucun changement de lieu, nulle sensation d'arriver. En roulant, même lorsque c'était moi qui conduisait, je n'étais pas vraiment en route. Quand je roulais, jamais ce qui me fait être moi ne m'accompagnait. Rouler me réduit à un rôle qui m'est contraire: en voiture, figure pour vitre arrière, en vélo, porte-guidon et tourne pédale. Marcher. Fouler le sol. Rester les mains libres. Rouler ou n'être véhiculé qu'en cas de nécessité. Les endroits vers lesquels on m'a roulé je n'y suis jamais allé. On ne peut les retrouver qu'en marchant, ce n'est que dans la marche que les espaces s'ouvrent et que dansent les espaces intermédiaires. Une tête ne pousse que sur les épaules de celui qui marche. Seul le marcheur sent un élan lui traverser le corps. Seul le marcheur saisit le grand arbre dans l'oreille - le silence! Seul le marcheur se rattrape et s'atteint lui-même. Seul vaut ce que pense le marcheur. Nous allons marcher. La marche veut qu'on marche.  

Peter Handke " L'absence" ( traduction par Georges-Arthur Goldschmidt)

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