samedi 16 avril 2022

Écrire, écrire, écrire

 


Je me retourne et parcours la distance qui me sépare de cette enfant à la frange blonde. Je la vois qui écrit. Elle forme des lettres. Sa chaise est serrée contre la table ronde de la salle de classe, non loin de la fenêtre qui donne sur la cour de l'école entourée d'une haie et d'une grille et remplie d'enfants qui jouent. Elle est seule assise dans la salle commune, et se rapproche encore de la table en tirant sa chaise. Elle veut, je le sais bien, être encore plus près de la table, du papier, du travail à fournir. Ne pas être séparée de la table, de sa surface, de la feuille blanche. Les avant-bras posés. Le corps penché, le dos rond. Elle forme des lettres, lentement. Elle s'applique à écrire entre les deux premières lignes, à tracer correctement le rond du d et à monter la barre jusqu'à la deuxième ligne. Il ne faut pas dépasser. Le k est compliqué, le f aussi, beaucoup de courbes, de volutes. Mais le o est facile et agréable à former, avec sa toute petite vague ou ce tout petit nœud sur le dessus, le u aussi qui s'insère bien entre les lignes horizontales. Elle aime ce geste, deux fois le même, point d'attaque, ça s'accroche en légère courbe et ça monte verticalement, ça redescend sur la même ligne, puis ça suit le trait horizontal en un très léger demi-cercle et ça remonte doucement, au même niveau, puis ça redescend à nouveau, petite accroche sur la fin en remontant. C'est fini. Elle a fait le u. Certaines lettres sont plus agréables que d'autres à tracer, procurent un certain plaisir. Il faut que ce soit propre. Elle va doucement. Elle est concentrée.


Sally Bonn " Écrire, écrire, écrire" ( Arléa 2022) 

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