J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

jeudi 30 septembre 2021

Viatique/ 25

S’arrêter sur ces mots lus chez Jaccottet : « ce vert sombre et comme maternel » qui me font entrer dans un songe lorsque la lumière semble déserter le paysage, non lorsque vient la nuit, mais dans un plein jour de grisaille. Ce serait comme du temps arrêté sur le paysage. Une lourde macération des heures.

Sentir comme quelque chose qui se rapproche et lentement te cerne. L’espace est si dense soudain qu’il pourrait se fendre. Même le souffle manque.

Quelque chose rôde qui pourrait bien me consumer. Impression étrange que le paysage me regarde. On reste face à face.

 

mardi 28 septembre 2021

Le cours de Pise

 


Si vous voulez enfoncer une vis, prenez un tournevis plutôt qu'un marteau. Si c'est un clou que vous avez à planter, servez-vous d’un marteau plutôt que d’un parapluie. Si c’est le pathos qui vous intéresse, prenez de bons modèles : Édith Piaf ou Verdi, pas Wittgenstein. Si vous voulez exprimer clairement votre pensée, prenez Wittgenstein comme exemple et laissez alors les trémolos au vestiaire. Il n’y a là rien de moral. C’est purement technique. Et si ce que vous voulez c’est devenir écrivain, alors vous êtes foutus et je ne peux rien pour vous. Thomas Bernhard l’a dit, Deleuze l’a dit. D’autres aussi, sûrement. Ils ne le disaient pas par provocation. Ils le disaient parce qu’ils connaissaient la question, qu’ils avaient bien réfléchi, et, de toute évidence, cette conclusion s’impose. Le devenir-écrivain c’est le trou noir garanti au bout de la ligne. Écrire n’a pas grand-chose à voir avec devenir écrivain.

Emmanuel Hocquard «  Le cours de Pise » ( POL 2018)

dimanche 26 septembre 2021

où nos mots se trouvent

 

dans l'écrin des silences

un glissement d'ombres

à travers les braises

vers un rêve qui s'éveille

                    et rien n'arrête les yeux

vendredi 24 septembre 2021

mercredi 22 septembre 2021

Viatique/ 24

Un ciel aux habits gris, l’absence totale de vent, mais le pépiement des oiseaux que l’on ne voit pas. Les pierres du mur recouvertes de lierre dont l’abondance croit d’année en année. Un escargot assez imposant en équilibre sur une haute herbe sèche.

Un matin du mois d’août, sans apprêt, où il ne faudra compter que sur ses forces intérieures. Dans ce silence de cloître, il ne reste qu’à se confronter à un passé présent. Rechercher un ultime signe.

Dans tout le champ de vision, une vie toute entière. Avec ses recoins cachés, ses souvenirs calfeutrés et des racines qui serpentent et affleurent là où on ne les attend pas. Et soudain un rouge-gorge, fier, au bord d’une branche.

 

samedi 18 septembre 2021

Nœuds de vie

 


Il me reste souvent, après un voyage en voiture, un souvenir plus tenace des étapes faites à la brune, dans les heures tardives de la soirée d’été, quand la recherche d’un gîte problématique pour la nuit nous aiguillonne, et que la nuit qui tombe retrouve pour le voyageur un peu de son inquiétude ancienne. En septembre dernier, j’avais quitté dans le soir avancé – ses hôtels combles contre toute attente – la petite ville de Sancerre pour rouler vers l’ouest à travers la Sologne, mal assuré de trouver quelque part le gîte et le couvert au creux de ses brandes. Quand je dévalai de la haute colline, le soleil frisant arrosait encore glorieusement les pentes de vignes, puis le pays de Henrichemont commença à tordre capricieusement la petite route au gré de ses coteaux et de ses vallons raides, couturés de haies, où la nuit gagnait peu à peu comme la crue d’un étang noir.  Je plongeai au long d'une pente douce vers le bas-pays par de longues lignes droites voûtées de branches; un œil de jour d'un jaune mourant s'entrouvrait et se ranimait par instants dans le fond écrasé de la perspective. La nuit s'établit tout à fait et je roulai presque silencieusement, comme emmitouflé dans une fourrure odorante qui m'eût dispensé non le chaud, mais la fraîcheur.

Julien Gracq " Nœuds de vie " ( José Corti 2020)

jeudi 16 septembre 2021

Viatique/ 23

Passer pas après pas entre les lignes du livre. Ne rien brusquer, ne pas aller trop vite, laisser aux mots le temps de sinuer. Ralentir encore la lecture, ne pas hésiter à revenir en arrière afin de suivre le cours sans en perdre une lueur.

Les multiples filets du flux de la langue se faufilent entre les déchirures des images qui se propulsent en dedans. Arrêter la lecture, ne pas aller dans cet au-delà où tout risque de basculer. Relire à voix haute pour entendre résonner ce qui a déjà ébranlé.

Contempler ces étincellements de mots comme on regarde un feu d’artifice. Se laisser émerveiller avec des yeux d’enfant. Se disséminer dans le bouquet final.

 

dimanche 12 septembre 2021

se déprendre de sa nuit

dans le sec de l'été

le silence écarte 

 

capturer l'essentiel

l’espoir dans la voix

et l'offrir au dernier soir



 

vendredi 10 septembre 2021

Viatique/ 22

  Aller où il n’y a rien.  Écouter ce qui monte des ravines, des mousses et des entailles de terre. De l’humus trouver le simple.

Les pierres tintent sous le pas, laissent échapper des murmures sous la semelle, donnent des coups de bec. Une sorte de secousse qui laisse des traces. Lent séisme dans les veines.

Reprendre le fil des lumières – arbre, ombre, oiseau, pierre, nuage – . Une joie ailée de mots qui se suivent, une crue soudaine. Et le vent qui croise le chemin laisse les mots à terre.

 

lundi 6 septembre 2021

Quatrain/ 66

lourdement obscurs les mots

j’ouvre la fenêtre

la voix s’enfuit

s’en va en échos lointains

 

samedi 4 septembre 2021

Viatique/ 21


 

Se tenir devant, ou au bord, presque dedans, mais à distance malgré tout. Être là et accrocher les yeux à ce qui semble soudain un  lieu de convergence où tout est apaisé, la nature et l’homme. On se chuchote que la vraie vie est là, et cela ne veut rien dire.

Simplement être là et poser le sac de tout ce qui pèse. Dans cet accroc du jour, se réjouir de cette fenêtre offerte. Ouverte sur le temps que l’on ne prend plus.

Prendre le temps de la photo pour ne pas oublier cet instant dérobé. Plus tard se tenir face à la photo et ressentir une sérénité similaire, presque emplie de magie. On se dit juste que quelque chose est présent dont on ne sait rien.

jeudi 2 septembre 2021

En quête

chercher encore

dans l’angle mort des jours

du silence au silence

au dos de l'indicible

                         en ramasser les cendres