J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

dimanche 22 juin 2025

Journal d'un écrivain/ 15

 

Mercredi 23 avril

Voici une matinée très importante dans l’histoire des Vagues, parce que je crois avoir passé le cap difficile, et que je vois la dernière partie droit devant moi. Je crois que j’ai enfin intégré Bernard dans le mouvement final. Il va aller tout droit maintenant, puis il se tiendra devant la porte, et ce sera alors la dernière vision des Vagues. Nous sommes à Rodmell et j’y resterai probablement encore un jour ou deux (si je l’ose) afin de ne pas briser mon élan et d’en finir. Et puis, ô mon Dieu, du repos, et puis un article, et un nouveau retour vers ce hideux labeur qui consiste à façonner et à modeler. Après tout, cela comporte peut-être en soi quelques joies.

 

Virginia Woolf " Journal d'un écrivain" traduction de Germaine Beaumont 

vendredi 20 juin 2025

Divagations/ 30

 


Des connivences se sont installées. Un échange avec Christine Jeanney, dont le Journal de bord des Vagues m’a tellement apporté et aidé dans mon immersion dans ce livre, se produit de temps à autre. Là, c’est à propos de sa traduction de la nouvelle de Virginia Woolf Kew Gardens, que nous correspondons. Après sa traduction, que j’ai suivie sur son site Tentatives, Christine qui est aussi plasticienne a réalisé un livret format flutter ( terme qui m’était inconnu!). Elle le présente ainsi :

« le livret Kg ressemble à un leporello, mais le leporello est d’ordinaire une longue bande de papier ou de cartonnette pliée sans qu’il y ait collage entre chaque page
le
livret Kg est un Flutter book, "flutter" signifiant en anglais palpiter, battre des ailes (ce qui rappelle le vol erratique des papillons de Kew gardens) » . Elle parle d’un texte devenu objet à façonner. Elle décrit également toute la méthode pour le fabriquer soi-même. Mes compétences manuelles étant nulles j’ai préféré lui demander un exemplaire tout prêt qu’elle m’a fait parvenir avec beaucoup de gentillesse. J’aime bien cette nouvelle, je prends d’ailleurs beaucoup de plaisir à lire ou relire les nouvelles de VW. Dans celle-ci, publiée en 1919, on retrouve la technique de narration liée au flux de conscience. La narratrice sillonne les allées du jardin de Londres, Kew gardens, près duquel Virginia a vécu dans sa jeunesse, et offre au lecteur des évocations de passants qui traversent les lieux ou se penche sur la vie des plantes ou animales que l’on peut y rencontrer. On se demande si ce n’est pas le jardin lui-même qui nous parle . Des promeneurs échangent des propos, une histoire pourrait commencer à s’écrire, mais ce sont d’autres personnages qui prennent le devant de la scène ou un escargot ! Nous traversons un tableau impressionniste, écoutons quelques voix, nous réfugions au cœur des plantes. Lire cette nouvelle à la vitesse de l’escargot...

À la fin de sa traduction et du journal de celle-ci, que Christine Jeanney nous offre, elle note ceci :

je fais toujours dans mon esprit le rapprochement entre la nouvelle Kew gardens et une boule à neige
un globe parfait que VW a retourné pour faire apparaître les petits reflets argentés qui dormaient au fond, et qui flottent quand elle écrit cet espace réduit qui est le nôtre, notre petit globe de monde, avec ses folies comme des cicatrices mal refermées, ses incompréhensions, les amours passés et futurs, ses épiphanies, ses guerres terribles et minuscules, son chatoiement, ses couleurs et ses formes offertes comme ça, pour rien, gratuitement, dans lesquelles les humains baignent sans s’en rendre compte
quelque chose de grave, terrible, tranquille
un "tout à la fois" complètement beau


 

mardi 17 juin 2025

Quatrain/ 171

 

la pluie délave les idées

magma tumultueux

je ne sais où les mots disparaissent

l’horizon se mérite

lundi 16 juin 2025

Ricochets / Année 2 / Semaine 24

 


1/ Des étincelles de soleil sur les chemins creux des paysages d’enfance. Des paroles se perdent, s’évaporent entre les troncs de ces arbres qui espèrent un regard, un peu d’attention pour l’équilibre et l’émotion qu’ils procurent à tout promeneur égaré sur ces sentes. Dans la tête les pensées se rangent, s’apaisent comme des morceaux de puzzle s’assemblent quand il est nécessaire. La suite des jours est incertaine mais tout va bien.

2/ Au large des flots d’arbres sur la crête des collines. Les yeux gravent dessus des images floues qui se déplient comme les voiles d’un bateau, vaguement agitées par une brise de sérénité. Des visions d’enfance remontent à la surface de la mémoire. Ici, dans cette maison, des sacs de souvenirs se dégorgent, s’étendent comme des draps sur un pré au soleil, et les poussières de mots se posent délicatement dessus.

3/ Sous un ciel cendré, coloré par un vent venant d’outre-atlantique, arpenter toujours les mêmes chemins qui apportent une sorte de sérénité. À l’heure habituelle de l’écriture, marcher car plus tard la chaleur sera plus forte, marcher, traverser les forêts où se faufile un animal qui ne se laissera pas voir, progresser selon un itinéraire habituel, longer un champ de blé dont on ne voit que les bleuets, traverser le cimetière.

4/ La rêverie, dans un état de veille alanguie, quand le réel se brouille et que tout est possible, se déforme, se transforme, la rêverie donc, se nourrit de sensations, de visions. Des couleurs aux teintes d’aquarelle, des formes épurées ou qui sont indistinctes, comme une peinture impressionniste : un ciel si pâle où dansent des esquisses d’arbres, des silhouettes floues, un univers où rôdent les fantômes sans faire de bruit.

5/ Certains griffent ou creusent la terre avec pelle, râteau, piochon ou à même les mains. D’autres s’escriment à creuser la langue jusqu’à effleurer ses os, dans la douleur ou l’hébétude, jusqu’aux confins d’un monde dépouillé de ses hardes. Cela brûle comme en un creuset d’où s’élève une incandescence d’échos qui jaillissent en tous sens, virevoltant sur la page, dont on cueille quelques bribes, étonné de ce qui vient de surgir.

6/ La voix de Virginia Woolf datant de 1937, diffusée lors d’une émission de radio consacrée à Mrs Dalloway, me rejoint. J’aime son timbre, son phrasé, même si je ne peux comprendre directement ce qu’elle dit. Je visualise sa voix d’une manière picturale, qui s’écoule un peu comme une rivière avec de légères ondulations, des courbes, des inflexions, de la douceur derrière un flux assuré qui ne peut qu’aller de l’avant.

7/ Quand l’inoubliable commence à s’oublier. Ou bien se tient à une telle distance que les souvenirs qui se dressaient avec fermeté, semblent doucement s’allonger sur le sol et même s’enfoncer peu à peu dans la terre, se faisant humus, jusqu’à disparaître de la vue. Résidus de soi qui préfigurent que ce qui faisait corps n’en a plus pour très longtemps à errer par les chemins de pierre sur cette terre.

samedi 14 juin 2025

Pertuis /5

 

 L’œil se laisse toujours séduire par ce qui brille. Des pépites d’or sur des pages de plomb, au gris cendré de béton. Pétrifiés, des livres ouverts gisent au sol. Mais avec des gouttes d’or disséminées dessus. Quelque chose qui s’échappe et survit de l’anéantissement évoqué. Des graines dorées qui se donnent à être, à vivre à nouveau. Rien n’est perdu, tout est possible encore. Les grains d’or de ce qui survit, la poésie, l’art malgré…

Face à ce linceul des silences, des pépites au service du sacrifice qui se révèle. Des stigmates que la vie a creusés. Les uns ne vont pas sans les autres. Et c’est le choc du plomb et de l’or, des cendres et des paillettes, de cette secousse que peut naître une pensée qui interroge, un dialogue qui peut s’instaurer au-delà de ce qui peut tenter de se dire. Ne pas craindre de se questionner encore.

jeudi 12 juin 2025

Journal d'un écrivain / 14

 

Dimanche 13 avril 1930  :

Dès que je m’arrête d’écrire, je lis Shakespeare, pendant que j’ai l’esprit encore bouillant et grand ouvert. C’est dans ces moments-là qu’il me paraît stupéfiant. Je n’ai jamais encore mieux compris sa prodigieuse envergure, son élan, sa maîtrise verbale, que quand je me sens dépassée et surpassée par lui. Le départ semble à égalité, et puis je le vois prendre de la vitesse et faire des choses que, dans mon exaltation la plus folle et ma plus forte pression cérébrale, je n’arrive pas à imaginer. Même les moins connues de ses pièces sont écrites à une vitesse qui bat tous les records. Et les mots tombent à une telle cadence qu’on n’arrive pas à les ramasser. Voyez, par exemple : « Sur ce lis à peine cueilli, presque fané… » (C’est par pur hasard que je tombe sur ces mots.) Évidemment, la souplesse de son esprit était telle qu’il pouvait lancer n’importe quelle flèche de pensée, ou bien semer négligemment une pluie de fleurs. Pourquoi écrit-on ? C’est qu’il ne s’agit pas là d’écriture. Je dirais même que Shakespeare est au-delà de toute littérature, si je pouvais expliquer ce que j’entends par là. 

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" traduction de Germaine Beaumont 

mardi 10 juin 2025

Ricochets / Année 2/ Semaine 23

 



1/ Tout n’est jamais dit. On voudrait un dénouement de la langue. Mais on ne se parle, on ne se lit qu’au travers d’un voile ou même d’une vitre. On entre à peine, si peu, dans la langue de l’autre. Des mots sont jetés entre les seuils, certains sont recueillis d’autres gisent encore sur la pierre. Il faudrait pour chacun, repasser par l’étymologie, pour tenter d’approcher ce qui est réellement énoncé.

2/ Un petit carré de coquelicots que le jour traverse. Un murmure inaudible puisque tu n’es plus là pour prendre soin de ce petit bout de nature, mais un murmure malgré tout dans cette enluminure qui arrête mon pas, me fait revenir en arrière. Un surcroît de vie au travers de ces fleurs, un petit signe par-dessus les mondes. Le pas sera différent, plus lent, enraciné encore et encore ici même.

3/ Il me semble simplement avancer sur le chemin de la vie de livre en livre. Et de phrase en phrase. À petits pas. Courir n’a jamais été ma manière d’aller. Mais marcher sans hâte à travers la forêt de mots, des images qu’ils provoquent, les taches de couleurs qui se diffusent, les articulations de voyelles entre les lèvres, et l’ouvert qui se déploie, se révèle comme une brèche du monde.

4/ Ne se pencher que sur le monde tout proche, le monde brut où se passe ma vie. Bien sûr suivre ce qui se trame dans l’actualité au fil des jours, être effarée par les évènements ici ou là, les catastrophes, les guerres, la brutalité des dires qui se prononcent, mais ici dans l’écriture, ne pas pouvoir en parler. Se réfugier dans cette sorte de solitude intérieure où sauver sa peau.

5/ La porte de nos pensées reste toujours entrebâillée pour laisser s’insinuer celles qui évoquent ceux qui nous ont quittés. Ils sont nombreux désormais et l’on pourrait égrener de nombreux prénoms de tous ceux qui ont compté pour nous, nous ont accompagné un bout de chemin et sans qui, bien sûr, nous ne serions pas ce que nous sommes. Ils nous manqueront toujours car nous n’en n’avions pas fini avec eux.

6/ Se sentir parfois à la jonction des mondes, réels et irréels, comment savoir. Accueillir des visions de tendresse qui nous viennent d’on ne sait où et qui flottent en soi comme une réalité sur le seuil incertain de nos songes. En coup de vent, comme un souffle qui ouvre la porte, un arpège qui sonne sur le clavier des sensations. Et tout repart comme s’est venu dans un mince silence.

7/ Par saccades constantes se déroulent les jours. Entre elles, juste un tiret. Le temps de reprendre souffle. Vivre par à-coups, faits d’envols et de chutes, d’arrêts au bord de l’engourdissement, puis de secousses pour repartir encore. Errer entre les alvéoles du cerveau, éviter les failles inévitables, soulever les voiles qu’il reste encore à dévoiler. Laisser aller et venir les vagues de pensées, vivre dans ce va-et-vient qui n’en finit pas.

dimanche 8 juin 2025

Divagations/ 29

 


Je reprends mes réflexions autour de ma relation à Virginia Woolf, car il me semble bien que je n’en ai pas terminé, et je pense aussi que je n’ai pas le désir que cela cesse. De nouveaux livres s’achètent, se feuillettent, se lisent, des émissions s’écoutent, des films se regardent, toujours en lien avec elle. Furetant entre les rayons des librairies au mois de février dernier la couverture vert amande d’un livre, intitulé Virginia Woolf journaliste, sous-titrée L’histoire méconnue d’une émancipation par le journalisme de Maria Santoz-Sainz, attire le regard ; je l’achète aussitôt. Cette facette m’est moins familière et donc j’aurai sans doute encore à apprendre sur cette autrice Je ne l’ai pas encore lu, de même que Flush, pourtant depuis septembre sur la pile de livres à lire. Au mois de mars, c’est la couverture de la revue Lire qui inscrit son nom en lettres majuscules avec un dossier qui est consacré à Virginia, en spécifiant plus qu’une icône, évoquant aussi une psychologie fragmentée et les femmes de sa vie. Je me laisse séduire, tout comme, quelques jours plus tard par le Woolf bref et percutant d’Adèle Cassigneul, que je dévorerai, lui, instantanément. Le vert semble être à la mode cette année car la couverture est également de cette couleur, un vert plus foncé que pour l’ouvrage précédent, avec les cinq lettres du titre en blanc et dessous son visage de profil. Un livre intéressant, de par sa forme, de par son écriture, de par son assise dans le féminisme clairement affirmé, un livre que j’ai beaucoup souligné, à la bibliographie riche où je suis allée me promener avec envie ( beaucoup de références en anglais). Un livre qui sort des sentiers battus. J’y reviendrai. 

Chez mon libraire favori, j’ai aussi commandé au mois d’avril Virginia Woolf, la flâneuse de Rodmell de Christian Soleil, qui a écrit plusieurs livres autour de Virginia, de sa sœur, de Bloomsbury. J’ai visionné aussi le film Vita et Virginia et lu le livre de Christine Orban ensuite.. Lu également un livre, emprunté à la bibliothèque de Angelica Garnett, la nièce de Virginia, : Les deux cœurs de Bloomsbury qui évoque la vie de ses parents et bien sûr la relation entre sa mère Vanessa et Virginia. J’ai écouté aussi un podcast autour de Mrs Dalloway, qui vient d’être réédité dans la Pléiade (qui me sera offert !). Donc toujours une forte présence sur mes épaules et en esprit, même si je n’ai pas encore tout lu de mes acquisitions. Virginia est là en permanence sur mon bureau, toujours à portée de main. Sans oublier son Journal que je lis à petites doses mais avec régularité. En somme quelqu’un qui veille un peu sur moi..

.Étrangement, durant cette même période, pour le besoin d’un atelier d’écriture que j’anime, je me penche aussi beaucoup sur Emily Dickinson et enchaîne des lectures autour de cette autrice. Je relis les deux livres de Dominique Fortier Les villes de papier et Les ombres blanches, Chambre avec vue sur l’éternité de Claire Malroux et découvre La vie singulière de Thomas Higginson de Christian Garcin qui évoque son lien avec Emily Dickinson. Je revisionne aussi le film A quiet passion. Il m’arrive, à force d’errer entre leurs vies, d’emmêler leurs deux visages. Deux autrices qui me traversent et travaillent en moi. Deux femmes qui se tiennent près de moi. Deux fantômes qui me hantent, avec qui je dialogue.

vendredi 6 juin 2025

mercredi 4 juin 2025

Journal d'un écrivain/ 13

 

Mercredi 9 avril 1930

Ce que je crois maintenant (à propos des Vagues), c’est que je puis donner en très peu de touches l’essentiel du caractère d’un personnage. Ce devrait être fait hardiment, presque comme une caricature. J’ai pénétré hier dans ce qui pourrait être la dernière partie. De même que pour chaque épisode du livre, cela procède par sauts et par bonds. Je ne peux jamais m’en détacher, mais me sens tirée en arrière. J’espère que le résultat sera consistant et je dois faire attention à mes phrases. L’abandon du style d’Orlando et de La Promenade au phare se trouve bridé par l’extrême difficulté de la forme, comme dans La Chambre de Jacob. Je crois que c’est ce que j’ai le plus développé jusqu’ici, mais bien entendu cela peut, par endroits, faire long feu. Je pense aussi m’en être tenue, stoïquement, à ma conception originale. Ce que je redoute, c’est qu’en récrivant il me faille aller si loin que je ne finisse, d’une manière ou d’une autre, par tout embrouiller. L’imperfection est à peu près inévitable, mais il se pourrait bien que j’aie réussi à dresser mes statues contre le ciel. 

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" traduction Germaine Beaumont 

lundi 2 juin 2025

Ricochets/ Année 2/ Semaine 22

 


1/ On aurait pu prendre d’autres directions dans la vie. Il aurait suffi de ne pas trouver de place pour se garer, on n’aurait alors pas poussé une porte qui ouvrait sur un monde que l’on ne connaissait pas. Il aurait suffi de tourner à gauche plutôt qu’à droite, de porter son regard dans une autre direction, et la vie aurait été différente. Combien de chemins non empruntés, à jamais inconnus...

2/ Quelque chose veille en nous dont on ne sait pas grand chose. Quelque chose nous prépare à vivre ce qui doit l’être. On se retrouve à penser à un objet, à un lieu ou une personne et, sans crier gare, on se trouve confronté à la réalisation de nos pensées. Ce n’est qu’après que la jonction entre les évènements se fait qui nous laisse songeurs sur nos dons de prémonitions.

3/ Entre le dehors et soi comme des barreaux ou des portes closes. De chaque côté des souffles, cela remue. Des mains pourraient se tendre, se rejoindre. Un ailleurs pourrait ouvrir. En dedans c’est plus facile de vivre entre les souvenirs, les livres et les mots qui s’inscrivent. On reste toujours seul à chercher où reposer sa tête et personne ne s’en aperçoit. Les murmures se perdent, s’éteignent entre les ombres.

4/ Parcourir les rayons et les étals d’une librairie, comme souvent, sans envie préconçue, juste caresser des couvertures, déchiffrer des titres et des noms d’auteurs, lire les quatrièmes, remarquer qu’il y a de plus en plus d’auteurs inconnus. S’arrêter au rayon poésie, un titre attire, l’auteur ne m’est pas connu, feuilleter et lire la préface que Pierre Michon, dithyrambique, a offerte. Ne pas se poser de questions trop longtemps et acheter !

5/ Chasser les répétitions, avec ténacité, dans les textes que l’on écrit. Puis se souvenir de l’écriture de Virginia Woolf où les répétitions ont droit de cité tout au long de ses livres, et cela choque uniquement lorsque l’on se met à traduire et à chercher des synonymes , des formules un peu différentes. Et si la répétition, comme dans l’hébreu biblique, avait une utilité dans la liaison entre pensée et langue.

6/ . Le clocher continue de sonner les heures. Les chemins serpentent entre les prés. Un ou deux ne sont plus entretenus. Les arbres ont un peu grandi. Le vent agite toujours leur feuillage. Quelques rochers semblent recouverts de buissons. Des fleurs sont installées devant des fenêtres. Il y a des portes de maisons qui ne s’ouvrent plus. Un toit s’est écroulé. Au cimetière, de nouveaux noms sont gravés sur les tombes.

7/ Dans le rêve ou la demi-somnolence d’un moment de la nuit, j’étais en train d’écrire : cela concernait ma relation avec Virginia Woolf et mon intérêt pour Emily Dickinson suite à un atelier d’écriture. Des deux autrices, je tentais de dire pourquoi elles me passionnaient et, ce que chacune d’elles m’apportait. Il y avait aussi me semble-t-il le désir de les faire connaître et que tout le monde les lise.

vendredi 30 mai 2025

Pertuis/ 4

 

C'est dépeindre un instant précis qu'il faudrait, les secondes qui ont fait basculer mon équilibre et ont renvoyé froidement vers moi, aux tréfonds. C'est une entrée dans une vaste galerie d'exposition en solitude. Personne dans les salles gigantesques en hauteur et en en largeur . Se sentir happée par le silence et la force des tableaux qui recouvrent les murs. Marcher vers le tableau. Entrer dans la peau de la peinture comme en une mer.


Mais ce n’est pas de l’eau, c’est une forêt ample, touffue, noire, un creuset de songes, un reliquaire de langues. C’est la terre des peut-être entre les lignes de faille et les secousses de silences, entre les inclinaisons de lumière et la prégnance de certaines ombres. Un univers se déploie, l’horizon disparaît, des voix s’élèvent, c’est l’opéra des petits riens qui se joue, un ténor entre en lice puis une basse fait trembler les viscères.



La rubrique avec ce libellé Pertuis: un texte en deux parties en écho à des œuvres picturales, artistiques, que j'ai choisies mais qui ne sont pas nommées. Trois œuvres du même artiste seront proposées.

mercredi 28 mai 2025

Journal d'un écrivain/ 12

 

Vendredi 28 mars 1930

Ce livre est décidément une très curieuse affaire. Il m’a fait vivre une journée d’enivrement dont j’ai pu dire : « La naissance d’un enfant n’est rien à côté. » Et quand je m’installai pour l’embrasser dans son ensemble et me disputai avec L. au sujet d’Ethel Smyth ; et dissipé la querelle en promenade ; et perçu la pression de la forme, sa splendeur, sa grandeur, comme jamais encore, peut-être, je ne l’avais ressenti. Mais je ne m’en débarrasserai pas par l’exaltation. Je continue à creuser et je m’aperçois que c’est le plus difficile, le plus complexe de tous mes livres. Comment le terminer sinon par une énorme conversation au cours de laquelle chaque vie élèvera sa voix ? Une mosaïque, je ne sais pas. La difficulté vient de ce que tout est à haute tension. Je n’ai pas encore mis au point la voix qui parle, mais je crois qu’il y a quelque chose là, et je me propose de continuer à piocher à fond, laborieusement, et puis de récrire le tout en lisant de longs fragments à haute voix, comme des poèmes. Cela peut supporter des développements, car c’est, je crois, très comprimé. Quoi que j’en puisse faire, c’est un thème large et puissant, qu’Orlando n’était peut-être pas. En tout cas, j’ai sauté la barrière.

Virginia Woolf " Journal d'un écrivain" ( traduction Germaine Beaumont)

lundi 26 mai 2025

Ricochets/ Année 2 / Semaine 21

 


1/ Il suffit de marcher sur un chemin généreux au cœur d’une forêt de résineux et de feuillus mêlés, de ce pas lent et puissant pour se sentir pleinement être. Il suffit de respirer pour que s’éparpille ce qui pèse. Ce serait comme caresser de ses doigts le temps que l’on pensait disparu. Un amas de troncs d’arbres sur la bordure, des cernes de croissance, des morceaux d’écorce, de la lumière.

2/ Un monologue permanent se poursuit en esprit. Il part, prend des chemins de traverse, s’évanouit, renaît par une autre vision, se perd dans le labyrinthe mental, s’étiole sur le bas-côté du chemin et meurt dans les ornières du jour. Des idées s’égarent que l’on voudrait bien repêcher, mais elles se sont calcinées dans un trop plein de pensées. Porter le regard à perte de vue, écarter les ombres, poursuivre .

3/ Il reste au fond de soi encore un peu d’obscur. Une mélodie qui n’a pas trouvé la partition pour se transcrire. Une aube qui ne s’est pas levée, assombrie des brumes du monde. Un ciel de nuées sans étoiles. Mais une fenêtre s’ouvrirait, des volets se repousseraient, et cela parlerait une langue nouvelle pour dire, pour révéler ce qui n’est pas encore su.. Dans le cadre quelqu’un qui nous attend.

4/ Dans la tête, cela se bouscule : trop de projets en cours, trop d’envies , de pistes d’écriture, d’ateliers à préparer. Il faudrait pourvoir réaliser ses pensées dans l’instant où elles se pensent, qu’elles s’écrivent dans leur courant même dans un beau dossier bien rangé. Car, à rester flottantes, elles prennent des chemins de traverse, dérivent au loin, et s’échouent sur quelque plage abandonnée dont on oublie très vite l’existence.

5/ Dans mon atlas intérieur, il est des lieux et des noms que je garde avec tendresse. C’est un chapelet de petits coins solitaires où reprendre souffle, où entrevoir la vie différemment, où se sont incarnées des pensées, des décisions. Il suffit d’en prononcer le nom et le paysage s’ouvre, irrigué d’un flux de sensations. C’est une cartographie de sentiments, de désirs, de douceurs et d’imaginaire. Comme un océan de songes.

6/ Les oiseaux m’apprennent à m’immobiliser, à me mettre dans un état de suspension, d’interruption du geste qui était en chemin. Ils chantent, et le temps se met en disponibilité pendant leur mélodie dont on guette les trilles, les répons, les battements de vie. Ils relancent une écriture après ce temps suspendu, plus fluide, plus dense, plus aérienne. Ce qu’ils ont signifié reste inconnu, mais le rythme, la tonalité, la vivacité…

7/ Il faut lire lentement pour laisser à chaque mot le temps d'émettre toutes ses ondes. Laisser les échos s’élever d’entre les lignes que l’on parcourt et rebondir entre les cordes de l’esprit. Dénicher les éclats de vie qui sinuent sous les phrases, bien cachés sous des métaphores, des images paisibles ou rougies. Sentir trembler la main qui a écrit, qui a pris le temps et la force de les abandonner.

samedi 24 mai 2025

Divagations/ 28/ Les mots blancs / 7

 


Comment considérer ces hasards qui nous mettent un jour en lien, à l’improviste, avec un peintre, un artiste, inconnu jusque là, et dont la vision du travail bouleverse et ramène au plus secret de soi… Comment ce trait de pinceau, rayant en douceur tous les tableaux, continue, avec une étrange obstination, de faire son œuvre et s’évertue à colliger tout ce qui s’éparpille de soi au fil des ans...Ralentir ce qui fuit. Rester entre des lignes, des mots. S’accrocher à ce désir-plaisir libéré par les mots, ceux que je lis d’abord dans ces livres qui me sortent de l’inertie, produisent un trouble, déstabilisent un peu, ouvrent une nouvelle fenêtre, tracent une connexion et rechargent la chair de l’esprit. Être à la recherche de cette chorégraphie des mots quand cela s’écrit enfin, ce mouvement d’effleurement qui se produit, et qui emporte plus loin, là où l’on ne savait pas que l’on se dirigeait, au travers de toutes les ombres qui nous recouvrent, dans une très grande étrangeté d’errance. Est-ce de l’invisible qui prend forme alors puisque les mots disent davantage que ce qu’ils semblent dire…Prendre ses aises dans le séjour de la langue, avec une part de démesure dans le plaisir qui se crée, et se sentir appréhender le monde, l’ailleurs, d’une façon différente. Espérer que ce qui s’écrit, non pas tienne, mais se tienne. Avec racines et envol. Les deux. Toujours veiller aux deux. Quelque chose d’éperdu. Comme un arbre peut-être. Qu’il soit grand ou petit, et quel qu’en soit l’espèce. Qu’il produise des fruits ou qu’il soit de simple agrément. J’écris près d’une fenêtre où, à l’arrière-plan, s’élancent des arbres sous un ciel changeant. Et l’arbre tient son cap. Il puise en lui et dans le sol où il se rattache son nécessaire. Je puise dans la langue amoncelée en moi, celle qui m’a édifiée depuis si longtemps désormais. Elle se tient en silence à l’intérieur. Plus les ans s’amoncellent et plus elle a de l’importance. Une langue pleine de carences, d’imperfections, de doutes, de clichés, de banalités, sans doute. Mais je tente de donner une voix à ces mots agglutinés, j’essaie de leur rendre un envol possible, afin de m’inventer à nouveau, avec parfois les lèvres lavées de larmes. Susan et ses mots blancs, et quelques lignes plus loin dans ce même texte de Virginia Woolf, Jinny parle de mots jaunes, de mots de feu. À chacun sa manne de langue. À chacun son souffle. À chacun son pas. Et ne pas oublier de ne pas se déprendre de soi, de ne pas lâcher le fil de ce qui nous relie à nous-même, et ne pas se perdre en cours de route. Ne pas oublier non plus l’arbre, l’envol de ses branches, le mouvement du feuillage sous le vent, la chlorophylle qu’il diffuse, le plaisir qu’il procure lorsque, allongé sous son feuillage où s’emmêlent ombre et lumière, on se laisse emporter par le songe, bercer de lueurs tamisées.

L’écriture serait un peu comme se tenir au bout de soi, au bout de ses doigts avec des étincelles prêtes à pétiller, à s’envoler plus loin, à éclairer quelque peu le tas de haillons où s’écarquillent quelques souvenirs, en un dépli d’ombres, tout au bout d’un chiffon de langue rouge.


L’univers où nous vivons est dépourvu de stabilité. Qui nous dira le sens secret des choses ? Qui peut prévoir la courbe d’un mot, une fois lancé ? *



*Cité par Quentin Bell dans Virginia Woolf Biographie t2