la tête pleine d’aigrettes
je regarderai longtemps le brasier
comme on regarderait passer le temps
en vapeurs et flottaisons
J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)
la tête pleine d’aigrettes
je regarderai longtemps le brasier
comme on regarderait passer le temps
en vapeurs et flottaisons
Page 11/
J’habite en moi
au bout du monde
loin des voix qui encombrent
j’habite les landes du vent
là, chez moi, où l’homme n’est pas
Je ne suis jamais seul
à l’ombre de personne
Page 41/
Que cherches-tu dans ces solitudes ?
Un ancien chemin
Personne ne vit ici
La vie est moindre parmi les hommes
Où le chemin commence-t-il ?
Au pied de l’arbre, près du torrent
Où conduit-il ?
Un seul le sait non encore revenu
Qui est-il ?
Un solitaire en chacun de nous
En nous tous ce qui est seul
Pierre Cendors "Les harmoniques originels" ( ( L'Atelier contemporain 2025)
Mercredi 20 août 1930
Les Vagues se réduisent, je crois (j’en suis à la page 100), à une série de soliloques dramatiques. Ce qu’il faut, c’est donner plus d’homogénéité aux entrées et aux sorties, comme un rythme de vagues. Cela peut-il se lire d’une traite ? Je n’en sais rien. Je crois que c’est l’occasion la plus providentielle qui m’ait jamais été offerte, et par conséquent, j’imagine, le plus grand échec. Cependant je me respecte pour avoir écrit ce livre, oui, même s’il révèle tous mes défauts habituels.
Virginia Woolf "Journal d'un écrivain " traduction Germaine Beaumont
Aimer faire des listes. Chaque matin, sur une page volante d’un bloc de bureau de l’année précédente et donc obsolète, noter la liste de choses à faire pour ce jour, par de petits tirets les uns sous les autres. Barrer au stylo rouge, ce qui a été accompli au fur et à mesure. Cela va du courrier auquel répondre à l’écriture quotidienne de mes Ricochets, aux participations à un atelier d’écriture en ligne ( écouter la proposition d’écriture puis écrire puis publier sur le blog commun), la préparation de mes propres ateliers d’écriture, en passant par le repassage, la lecture d’articles sur le net, l’écoute de podcasts d’émissions en retard, et chaque jour noter Divagations sur la liste. Rester en lien permanent avec l’univers de Virginia Woolf. Aujourd’hui, mon travail concernant les Divagations sera de faire la liste ( et oui encore une liste!) des ouvrages qui sont en attente de lecture autour de VW.
– VW : Journal
– VW : Orlando
– VW Promenades européennes ( livre emprunté pour l’été à la médiathèque municipale)
– VW : Correspondance avec Lytton Stratchey ( médiathèque)
– Jean Guiguet : Virginia Woolf et son œuvre ( médiathèque)
– Maria Santoos-Sainz : Virginia Woolf, journaliste
– Pietro Citati : Sur le roman ( numérique)
– Angelica Garnett : Vérités non dites ( numérique)
– Henriette Levillain : Carte d’identité ( numérique)
– Préfaces des Pléiades consacrées à VW
Je ne lirai pas tout cela, mais aurai la possibilité de piocher çà et là une nourriture pour l’été.
Travailler encore au cœur de cette écriture. Et sentir aussi que l’on aimerait relire les livres déjà lus ( trop vite sans doute). Aller voir également les ressources de pages Facebook consacrées à VW. Jouer à l’écureuil et emmagasiner tout se qui touche à elle. La vie se colore différemment ainsi. Les « moments de vision » du réel se font autres.
Lisant les premières pages du l’étude de Jean Guiguet, qui commence par faire mention de tous les livres qui ont été consacrés à VW ( et ce livre date de 1962…), j’ai conscience que ma quête ne sera jamais close ! Pour chaque étude relatée, il en donne les points forts et ses points faibles.
L'esprit reçoit une infinité d'impressions, insignifiantes, fantastiques, fugitives ou gravées avec le mordant de l'acier. De toutes parts elles viennent, pluie incessante d'innombrables atomes; et à mesure qu'elles tombent, s'agrègent pour façonner la vie de lundi ou de mardi, l'accent porte sur un point qui n'est pas celui où il portait jadis... La vie est un halo lumineux, une enveloppe translucide nous entourant depuis les débuts de la conscience jusqu'à la fin. (extrait de The common reader cité par Jean Guiguet)
nouer le souffle aux détails du monde
quelque chose bouge
que l’on n’avait pas vu
faire vivre ce qui se tait
1/ Apparition, disparition. Les images mentales vont et viennent comme les nuages dans le ciel, ne se préoccupant guère de voiler la lumière ou au contraire d’aveugler d’une présence trop intense. Ce flux issu de pôles de temps si différents se diffuse dans des connexions et embrouillaminis de fils, puis se perd dans une quête de l’extrême qui ne peut s’atteindre. Une forme de condensation se dépose aux parois de l’esprit.
2/ Le son continu dans l’oreille, comme une langue étrangère qui chercherait à énoncer quelque chose. Traduire ce qui est dit ne se peut. Cela crée une fatigue mentale car qui a besoin qu’on lui parle en permanence… Les sons s’emboîtent les uns dans les autres et créent un tapis sonore. Envie de draps de silence. Selon l’étymologie grecque, l'acouphène correspondrait au fait d'entendre un son qui s'apparenterait à une apparition.
3/ Rien dans l’écriture, comme dans d’autres domaines, n’est de l’ordre du prévisible. Au bouillonnement de projets peut surgir en miroir une inertie totale, un repli dans le port du rien. Désert à traverser dans l’attente d’une main tendue. Cela s’enfonce sous le pas. On voudrait écrire encore des choses que l’on ignore. Rien ne coule que le temps. Il passe, comme nous passons, sous un ciel parcouru de nuages gris.
4/ Le chemin hasardeux où s’imprègnent nos pas. Le regard chercherait bien quelques traces, mais en vain. D’un dehors dont on ne sait rien s’élèvent des rumeurs que l’on n’a pas envie d’entendre. Les jours se déplient et se replient, rien n’arrête leur mouvement, et tout avance vers sa fin. Et tu restes là sur le bas-côté ne sachant plus ni quand, ni où, ni comment tu as perdu le nord.
5/ On attend que les arbres prennent l’ombre à bras des feuillages et la couchent sur la terre. La campagne ne dit rien. Seuls les oiseaux. Et un chat qui marche sur les tuiles posées sur le mur. On le sait ; on est là pour çà : ce grand silence où laisser rouler les rêveries . Même si la raison bat la chamade, et ne tient plus guère le gouvernail.
6/ Sur ce chemin tant de fois arpenté, que chercher à nouveau ? Repousser l’horizon toujours en encore plus loin, ou simplement mettre un pas devant l’autre, se dire les possibles du jour, prendre source dans le paysage, prendre force. Les noms et les visages de ceux qui vivaient là sont encore en esprit, et le temps de cette promenade ils vivent un peu plus longtemps, à l’angle d’un ciel d’été.
7/ Ils sont encore tous là dans l’au-delà des murs à murmurer des paroles étouffées, ointes de rires et de larmes. Et les souvenirs qui s’éteignent peu à peu. Après moi qui saura entendre, qui reprendra le fil qui relie à ce passé ? Tout autour les étoiles s’éteignent les unes après les autres, dans la plus grande indifférence. Et le monde continue de tourner, chacun n’éclairant que devant sa porte.
Mardi 29 avril 1930
Et
je viens juste de terminer, avec ce dernier trait de plume, la
dernière phrase des Vagues. Il me semble qu’il fallait que je note
cela pour ma propre information. Oui, cela a été le plus grand
effort intellectuel que j’aie jamais fourni ; du moins, les
dernières pages. Je n’ai pas l’impression qu’elles retombent
comme d’habitude. Et je crois m’en être tenue avec une rigueur
ascétique à mon plan initial. C’est là le meilleur compliment
que je puisse m’adresser. Mais je n’ai jamais écrit un livre si
plein de trous et de morceaux. Cela demandera une reconstruction,
oui, et pas seulement une remise en forme. Je crains que la
construction ne soit mauvaise. Tant pis.
J’aurais pu me contenter de quelque chose de facile et de coulant.
Mais ce que j’ai fait marque un effort pour atteindre cette vision
que j’ai eue à Rodmell durant ce malheureux été, ou pendant les
trois semaines qui ont suivi La Promenade au phare. (Et cela me
rappelle que je dois trouver en toute hâte une nouvelle provende
pour mon esprit, sinon il va se remettre à picorer misérablement.
Quelque chose d’imaginatif et de léger, si possible, car après
les premiers moments de soulagement divin, je vais me fatiguer
d’Hazlitt et de la critique ; et je prends agréablement
conscience de tout ce qui s’ébauche à l’arrière-plan de mon
cerveau. Une vie de Duncan ? Non, quelque chose à propos de
tableaux illuminant un atelier. Mais cela peut attendre.)
Et je pense en moi-même en marchant le long de Southampton Row : « Voici que je vous ai donné un nouveau livre. »
Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" traduction de Germaine Beaumont
1/ Les lendemains de rencontres sont encore nourris des échanges de la veille. On se remémore les paroles échangées, quelques phrases importantes remontent à la surface de l’esprit. On se dit que l’on a bien fait de participer, d’être là bien présent et que certes on a beaucoup donné de temps et de l’énergie, mais que l’on a aussi beaucoup reçu. Sortir de sa tanière de temps à autre est bon.
2/ À l’improviste, des instants de sérénité adviennent. Même brefs dans le déroulement des jours, ils laissent une sorte de marque sur la peau, permettent aux lèvres de murmurer que ces moments-là ont existé, et que, sans doute il est difficile de les partager avec les autres, ceux qui ne les ont pas vécus. Ce serait comme un petit trésor personnel qui donne l’énergie pour être, malgré tout ce qui cerne.
3/ Entre les volets clos. Même ici en altitude, chacun se terre. Il y a des tâches à faire à l’intérieur, mais pas envie de bouger. On regarde les toiles d’araignées qui ont à nouveau envahi les lieux. On fait du repérage pour ...plus tard. On se cogne aux angles durs des meubles et des pensées. On n’a même plus d’ombre à poursuivre. Il semble que les murs se soient resserrés.
4/ Avide de ces chatouillements de souffles d’air. Vécus comme de petits miracles, ou infimes bonheurs. Ils donnent un sentiment intense de se sentir vivant. Trop souvent se sentir funambule au-dessus des abîmes. Et ces souffles d’air comme des assertions que tout continue même si le pas a ralenti. Laisser s’élever des pensées apaisées comme le chant des grillons dans les prairies d’été, dans cette fluidité de la rêverie enfin libérée.
5/ On a beau remonter le fil du temps, comme on marche le long d’un ruisseau pour dénicher sa source, dérouler à l’envers les moments vécus et les conversations, on ne récolte que quelques images, des signes extérieurs de ce qui s’est passé. On ne possède pas toutes les clés de lecture, ni on ne sait pas toujours quelles serrures il faudrait ouvrir, pour tenter d’extraire l’élixir de ce qui fut.
6/ Comme en suspens entre les pensées, les messages reçus et ceux que l’on espère et qui finissent par nous rejoindre enfin alors que l’on n’y croyait plus, à chercher à dénicher la juste attitude, les mots à prononcer et prendre le temps de se poser. S’immerger comme toujours dans les livres est une solution, encore faut-il trouver celui où se laisser dériver un temps suffisamment long pour ne plus savoir.
7/ Faire écriture. Sous les intervalles d’un ciel. Et les mots inconnus. Et les doigts qui tapotent le clavier dans la quête d’un dire. Celui ou celle qui écrit n’a plus de visage. Seul le geste importe. Derrière, la paroi des mémoires. Devant la mer intérieure à dérouler, à laisser les vagues rouler. Allées et venues continues. Blessure et baume. Rigueur et indulgence. Lumière et ombre portée. Brèches ouvertes à colmater.
quelque part au-delà de l’arc-en-ciel
une étoffe de silence
un endroit sans envers
quelque part où construire le jour
Ces paroles causèrent à son fils une joie extraordinaire. Pour lui il était désormais entendu que l’excursion se ferait sûrement et que la merveille contemplée depuis des années et des années, semblait-il, se trouvait maintenant à portée de sa main, qu’il n’en était plus séparé que par une nuit de ténèbres et une journée de navigation.Comme il appartenait, à l’âge de six ans déjà, à la grande famille des êtres incapables de séparer leurs sentiments les uns des autres et d’empêcher la perspective de l’avenir, avec tout ce qu’elle contient de joies et de peines, d’obscurcir la réalité présente ; comme pour ces êtres, si petits qu’ils soient, le tour le plus léger de la roue des sensations a la faculté de cristalliser, de transpercer et de fixer le moment sur lequel il a posé son ombre ou sa lumière, James Ramsay, assis sur le plancher et en train de découper des images dans le catalogue illustré des « Army and Navy Stores » attribuait à celle d’un appareil frigorifique, pendant que parlait sa mère, un caractère de divine félicité. Cet appareil était auréolé de joie. La brouette, la tondeuse de gazon, le bruissement des peupliers, le blanchiment des feuilles avant la pluie, le croassement des corneilles, les balais heurtant les murs, le froufrou des robes – chacune de ces sensations avait dans son esprit une couleur si nette, un aspect si distinct, qu’il possédait déjà son code particulier, son langage secret. Il apparaissait cependant comme l’image de la sévérité inflexible et sans mélange avec son front haut, ses farouches yeux bleus d’une pureté et d’une candeur impeccables, ses légers froncements de sourcils devant le spectacle de la fragilité humaine, et cela au point que sa mère, en le regardant guider adroitement ses ciseaux autour du frigorifique, l’imaginait assis sur un fauteuil de juge, tout en rouge et en hermine, ou en train de diriger quelque grave et formidable entreprise dans une heure critique du gouvernement de son pays.
« Mais, dit son père en s’arrêtant devant la fenêtre du salon, il ne fera pas beau. »
Si James avait eu à sa portée une hache, un tisonnier ou toute autre arme susceptible de fendre la poitrine de son père et de le tuer sur place, là, d’un seul coup, il s’en serait emparé. Telles, et aussi extrêmes, étaient les émotions que Mr. Ramsay faisait naître dans le cœur de ses enfants par sa seule présence lorsqu’il se tenait devant eux, à sa façon présente, maigre comme un couteau, étroit comme une lame, avec le sourire sarcastique que provoquaient en lui non seulement le plaisir de désillusionner son fils et de ridiculiser sa femme, pourtant dix mille fois supérieure à lui en tous points (aux yeux de James), mais encore la vanité secrète tirée de la rectitude de son propre jugement. Ce qu’il disait était la vérité. C’était toujours la vérité. Il était incapable de ne pas dire la vérité ; il n’altérait jamais un fait, ne modifiait jamais un mot désagréable pour la commodité ou l’agrément d’âme qui vive, ni surtout de ses propres enfants, chair de sa chair et tenus en conséquence à savoir le plus tôt possible que la vie est difficile, que les faits ne souffrent point de compromis et que le passage au pays fabuleux où nos plus brillants espoirs s’évanouissent, où nos barques fragiles s’engloutissent dans les ténèbres (arrivé à ce point Mr. Ramsay se redressait et fixait l’horizon en rétrécissant ses petits yeux bleus) représente une épreuve qui demande avant tout du courage, de la sincérité et de l’endurance.
Virginia Woolf "La promenade au phare" traduit par M. Lanoire
1/ Après une petite pluie matinale, une coulée d’air frais pénètre même sous la peau. Dans cet instant le corps est arrimé à un renouveau de vie. Jusqu’aux derniers recoins. L’esprit se descelle des liens de chaleur et semble plus souple, plus vivant, après l’aridité du muet. Comme des retrouvailles avec soi. L’illettré est traversé à nouveau par les mots. Comme avoir enfin tiré vers soi la couverture de la langue.
2/ En avant de ce qui cherche à s’écrire, avant même d’être énoncée, une parole. Mais entre les deux l’interstice qui aère les mots. Et le seuil où l’on se tient et que l’on ne franchit pas. De cette langue qui est en traduction, l’étrangère, faire son nid et se laisser porter par l’écorchure des mots. On se retrouve toujours sur son chemin. Enjamber les intervalles comme on saute les fossés.
3/ On souhaiterait des mots qui éclairent le futur. Qui donnent à penser ce qui se profile derrière les ombres. Quelque chose comme le mouvement du ciel avec les traces que l’on ne sait pas lire. Retenir par des mots nouveaux ce que l’on ne saisit pas. Ce qui demeure ouvert. Et le disant un réel se dévoilerait. Un dehors qui se saisit de soi sans avoir à sortir.
4/ Cet espace où trouver de l’air qui déchire, comme une écharde. Tenir corps et esprit dans ce courant d’air et se laisser recouvrir de ces copeaux du dehors. Les échardes d’air plantées sur la peau comme des onguents. Dans l’immobilité, se désaltérer d’air. Prendre le temps de la pensée. Dans la mémoire observer les trous et ses abimes. L’air circule là aussi comme des mots qui ont pris leur envol.
5/ Avec cette lumière d’été à nos côtés. Dans le cloître des jours et ses arcades d’ombres. Dans les langes des songes. Dans la soif de fraîcheur sous les paupières. Avec et sans tous ceux qui ne sont plus là pour épauler nos vies. Grâce aux mots des poètes vibrant et vivant entre les lignes. Et la mélodie des oiseaux cachés dans le feuillage. Se sentir encore debout sur le seuil
6/ Un lézard très attentif, une abeille, une coccinelle et l’esprit de notre jeunesse qui toujours veille. Dans ce lieu, la présence de ceux qui ne sont plus, avec qui nous avons ri, chanté, échangé, appris à être ce que nous sommes. Aujourd’hui nombreuses rencontres, paroles partagées avec des inconnus, connivences ou non mais malgré tout, étrange sensation d’exister, d’être là où je dois être. De l’après je ne sais rien.
7/ En marge, sur les bas-côtés, derrière un voilage, à la lisière des uns et des autres, pas très loin mais toujours un peu en retrait, il me semble que c’est ainsi que je me situe le plus souvent. Mais pas absente. À tenter de suivre le cours des vies, de la vie sans toujours bien comprendre le pourquoi et le comment de ce qui survient. Avancer encore avec les autres.
À la limite de ce que l’œil peut comprendre de ce qui, devant lui, se dresse. Comme une vision de myope au réveil, quand on n’a pas encore chaussé ses lunettes, et que le monde n’est pas vraiment le monde, mais un territoire indistinct où tout est possible et rien n’est sûr . Une vision ténébreuse et pleine d’inquiétude. Comme si, dans cette semi-obscurité, une chimère allait se réveiller, prendre forme et s’emparer du pouvoir.
Un monde est en train de s’écrouler. On ne distingue plus ni le haut ni le bas. Tout, peut-être, est en train de se consumer dans des flashes de lumière verticale, dans des déchirements de chairs. Une apocalypse se donne à voir, c’est à dire une révélation de ces masses sombres cachées, plomb fondu, au fond de chacun d’entre nous. Ruines de nos mémoires, où il subsiste des traces à conserver, à protéger, à révéler.
La rubrique avec ce libellé Pertuis: un texte en deux parties en écho à des œuvres picturales, artistiques, que j'ai choisies mais qui ne sont pas nommées. Trois œuvres du même artiste seront proposées.
sur les sentiers de naguère
l’espoir d’un océan d’herbes
d’une écriture de lierre
et le grignotage de la lumière
1/ Dans quel angle du jour se tenir ? Se laisser fendre par quel air ? Quelle brèche laisser se creuser en soi ? À la verticale de ce qui se déroule devant, ouvrir grand les yeux, face à l’air qui enveloppe . Toujours un peu en retard. Avancer sur soi-même en restant sur le seuil, y mesurer sa vie. Tête levée, avec le ciel par flaques, voir ce qui corrode.
2/ Les mots s’entraînent sur les pages des livres. Parfois c’est une course de vitesse, parfois un marathon. La langue glisse, force, prend du muscle, se régénère, s’intensifie, se diversifie. Tout est porté par la langue. Tout est emporté et brassé par celui qui lit. Des lambeaux clairs, éclatent, se déchirent en surface et restent en mémoire. Par les lèvres ils renaissent plus loin, autres. Déplacés ils vivent encore plus loin.
3/ Le comme qui tente de dire. Qui tente de relier pour se faire comprendre. Et qui aussi déplace la pensée, conduit les images mentales vers un autre univers. Comme calme pour la main qui veut écrire. Comme en un évasement de soi. Comme de l’air entre . Comme du blanc sur la page le temps de la comparaison. Comme un voyage. Comme grimper à un autre étage. C’est comme si…
4/ Des charnières à huiler . En permanence. Entre les uns et les autres. Entre les mots qui se prononcent. Ne pas faire grincer la relation. Laisser l’espace nécessaire. Adoucir les propos. Laisser passer de l’air. Des langues d’air chaud ou frais selon le moment. Prendre appui sur les nuages et se laisser porter par le vent. Ne chercher rien d’autre que des portes ouvertes. Patienter pour un pas de plus.
5/ Soudain entre amis se mettre à parler de l’esperluette, comme un sujet sérieux. Se souvenir, parmi la forêt de livres qui sommeillent dans mon bureau, le livre où j’ai lu quelque chose d’intéressant à ce sujet. Il fait juste six cents pages. C’est le cours de Pise d’Emmanuel Hocquard. Après quelques recherches, trouver ce que l’on voulait avec satisfaction. Et penser, tout bêtement, que les livres sont des trésors inestimables.
6/ Regarder ne fait pas trace à l’abord du dehors. Le coup d’œil appuyé n’enfonce pas les traits, ne fait pas dériver les courbes et les méandres de ce qui est observé. Ce qui illumine, illumine encore après le regard qui s’est posé dessus. Le cillement dans le dedans, personne ne le voit. Tout reste immobile. On voudrait partager ce que le regard a capturé de l’informe et abandonné en dedans.
7/ Nous ne sommes qu’un interstice de vie où se glissent des pensées qui nous sont données dans l’enfance. Et toutes les pensées ne se valent pas. À nous de les faire fructifier, de les rendre plus riches que celles qui nous ont nourris. Aller toujours un peu plus loin, un peu plus haut. Se faire liseron, jusqu’à voluter ce qui nous entoure. Réfléchir toujours plus dans le respect de soi.