dans le clair-obscur
la patiente écriture des lichens
un bric-à-brac de pensées
de la vie dans la vie
l’éternité dans l’instant
J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)
dans le clair-obscur
la patiente écriture des lichens
un bric-à-brac de pensées
de la vie dans la vie
l’éternité dans l’instant
lundi 12 juin
tremble bruissantcherchant toujours plus de hauteur
il trône dans le jardin de là-haut
on se retrouve
à éprouver l’air tous deux
de bon matin
à échanger de nos nouvelles
mardi 13 juin
mots enlignés
qui frappent et font résonner
les murs intérieurs
prêter l’oreille à ce qui émerge
à cette vie plus dense
élargir les frontières
en écouter les balbutiements
mercredi 14 juin
instant indécis
où se guette la venue de mots
atelier d’écriture à deux
sous la fraîcheur des arbres
c’est entre Virginia et nous
que tout se passe
et le vol de quelques freux
jeudi 15 juin
migraine souterraine
la tenir à distance
faire comme si elle n’était pas là
mais elle gagne du terrain
les sourcils se froncent
le front se plisse
un cachet s’il vous plait
vendredi 16 juin
buis libéré
des ronces et du liseron
le jardin s’est refait une beauté
et la regardeuse que je suis
s’émerveille d’un rien
retrouve un peu de souffle
et la lumière se fraie un chemin
rêver loin en amont
l’été vient d’entrer
avec les doigts qui pépient
pour laisser passer la lumière
En écrivant, tu déploies une ligne de mots. Cette ligne de mots est un pic de mineur, un ciseau de sculpteur, une sonde de chirurgien. Tu manies ton outil et il fraie un chemin que tu suis. Tu te trouves bientôt profondément engagé en territoire inconnu. S’agit-il d’une impasse, ou bien as-tu localisé le vrai sujet ? Tu le sauras demain ou dans un an. (…)
La ligne de mots est un marteau.Tu t’en sers pour explorer les murs de ta maison. Tu les tapotes, doucement, partout. Après les nombreuses années passées à étudier ces choses, tu sais à quel bruit prêter l’oreille. Certains murs sont porteurs ; il faut qu’ils restent en place, sinon tout l’édifice s’écroulera. D’autres murs peuvent disparaître sans dommages ; tu sais entendre la différence. Malheureusement, c’est souvent un mur porteur qui doit disparaître. On n’y peut rien. Il n’y a qu’une solution, qui te consterne, mais c’est comme ça. Flanque-le par terre. Gare.
Annie Dillard "en vivant, en écrivant" ( Christian Bourgois )
traduction de Brice Matthieussent
lundi 5 juin
monde nécessaireque celui de l’imaginaire
qui depuis l’enfance nous hante
où l’on se perd
et se retrouve à toujours
effleurer les mêmes songes
et toujours autres
mardi 6 juin
regain mélancolique
qui infuse doucement
comme une tristesse
il va falloir faire avec
même si on aimerait
se sentir plein de légèreté
et de joie de vivre
mercredi 7 juin
ajours d’ombres
sur le chemin au-dessus
du barrage du gouffre d’enfer
des enfants font de l’escalade
sur les rochers de la roche corbière
et je n’ envie nullement
ce désir d’aller plus haut
jeudi 8 juin
enfant joyeuse
qui court et rit
s’active en tous sens
cherche à comprendre
le monde autour d’elle
et vit à cent vingt pour cent
on rêve d’avoir son énergie
vendredi 9 juin
esprit desséché
proche d’un abandon
plus de force pour rien
envie de tout laisser
et de rester au bord du jour
les yeux fermés
la bouche sèche
samedi 10 juin
interlignes suspendues
nourries de ces silences
si proches des mots
et doucement creusent
cette nécessité d’écriture
proche d’un étrange
qui bat derrière les paupières
dimanche 11 juin
ailes déployées
il survole mon ciel
il mène une recherche
il tourne et tourne encore
chacun sa vie et chacun son regard
chacun guidé vers son ailleurs
à proximité des ombres
soulever un coin de la nuit
le temps d'ouvrir la main
une pépite de rien
comme un drapé
dans le terreau des mots
une goutte d'encre coule
On ne peut pas écrire tous les jours, à heures régulières, comme le paysan laboure un champ ou comme le clerc feuillette et annote ses minutes. On est plutôt pris entre deux dégoûts, celui d’écrire ce que l’on écrit ( de ne pas le faire mieux, autrement) et celui de ne plus rien faire du tout, qui est pire. À moins de changer de métier, ce qui est vraisemblablement utopique. Les paroles devraient donc se frayer un chemin entre ces deux insatisfactions, dans un étroit espace où elles trouvent peu d’aliment, peu de feu. Alors que l’air et l’espace autour de nous séparent si largement les choses les unes des autres, et peuvent si aisément être franchis.
Philippe Jaccottet " La Semaison / Carnets 1968-1979"
lundi 29 mai
attrait mystérieuxque ce mur enrobé de lierre
je poursuis le défrichage
de ces lianes volubiles
je griffe mes doigts à tenter
de détacher les crampons
et le mur respire
mardi 30 mai
sons lents
et lancinants du glas
le pas s’alentit
les pensées se rassemblent
on passe tout près de l’esplanade
où une foule se tient
dans la sobriété du deuil
mercredi 31 mai
humble monologue
qui se passe en tête
dans la nécessité du soir
quand la carcasse se tasse un peu
et que des ombres passent
dans les pensées
se sentir à l’abandon
jeudi 1 juin
pensées floues
comme un regard qui n’arrive
à se poser nulle part
chaque pensée se fait songe
erre et divague
dans une cartographie
d’un paysage inconnu
vendredi 2 juin
soirée musicale
chansons qui jaillissent
quelques paroles se posent
sur les lèvres
on chante on rit
et l’on goûte avec plaisir
à des retrouvailles
samedi 3 juin
ballot d’images
dont on ne fera rien
qui fulgurent
puis s’effacent et que l’on
ne retrouvera pas
des images des ombres
de la fumée qui s’évapore
dimanche 4 juin
écoute active
de musique de la renaissance italienne
les voix s’épousent
et se répondent
on se croirait loin du monde
et près d’un paradis
poudre d’or dans les oreilles
Combien de fois n’avons-nous rien vu de ce qui se tramait de vivant dans un lieu ? Probablement chaque jour. C’est notre héritage culturel, notre socialisation qui nous a faits ainsi. Il y a des raisons et des causes à cela. Mais ce n’est pas une raison de ne pas se battre.Pas de reproches, mais une certaine tristesse à l’égard de cette cécité, de sa portée, et de sa violence innocente. C’est un enjeu majeur que de réapprendre, comme société, à voir que le monde est peuplé d’entités autrement prodigieuses que ne le sont les collections de voitures et les galeries des musées. Et de reconnaître qu’elles exigent une transformation de nos manières de vivre et d’habiter en commun.(...)
Par “crise de la sensibilité”, j’entends un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre, et tisser comme relations à l’égard du vivant. Une réduction de la gamme d’affects, de percepts, de concepts et de pratiques nous reliant à lui. Nous avons une multitude de mots, de types de relations, de types d’affects pour qualifier les relations entre humains, entre collectifs, entre institutions, avec les objets techniques ou avec les œuvres d’art, mais bien moins pour nos relations au vivant. Cet appauvrissement de l’empan de sensibilité envers le vivant, c’est-à-dire des formes d’attention et des qualités de disponibilité à son égard, est conjointement un effet et une part des causes de la crise écologique qui est la nôtre.
Baptiste Morizot " Manières d'être vivant" ( Éditions Actes Sud 2020)