mercredi 28 mai 2025

Journal d'un écrivain/ 12

 

Vendredi 28 mars 1930

Ce livre est décidément une très curieuse affaire. Il m’a fait vivre une journée d’enivrement dont j’ai pu dire : « La naissance d’un enfant n’est rien à côté. » Et quand je m’installai pour l’embrasser dans son ensemble et me disputai avec L. au sujet d’Ethel Smyth ; et dissipé la querelle en promenade ; et perçu la pression de la forme, sa splendeur, sa grandeur, comme jamais encore, peut-être, je ne l’avais ressenti. Mais je ne m’en débarrasserai pas par l’exaltation. Je continue à creuser et je m’aperçois que c’est le plus difficile, le plus complexe de tous mes livres. Comment le terminer sinon par une énorme conversation au cours de laquelle chaque vie élèvera sa voix ? Une mosaïque, je ne sais pas. La difficulté vient de ce que tout est à haute tension. Je n’ai pas encore mis au point la voix qui parle, mais je crois qu’il y a quelque chose là, et je me propose de continuer à piocher à fond, laborieusement, et puis de récrire le tout en lisant de longs fragments à haute voix, comme des poèmes. Cela peut supporter des développements, car c’est, je crois, très comprimé. Quoi que j’en puisse faire, c’est un thème large et puissant, qu’Orlando n’était peut-être pas. En tout cas, j’ai sauté la barrière.

Virginia Woolf " Journal d'un écrivain" ( traduction Germaine Beaumont)

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