jeudi 10 juillet 2025

Journal d'un écrivain/ 16

 

Mardi 29 avril 1930

Et je viens juste de terminer, avec ce dernier trait de plume, la dernière phrase des Vagues. Il me semble qu’il fallait que je note cela pour ma propre information. Oui, cela a été le plus grand effort intellectuel que j’aie jamais fourni ; du moins, les dernières pages. Je n’ai pas l’impression qu’elles retombent comme d’habitude. Et je crois m’en être tenue avec une rigueur ascétique à mon plan initial. C’est là le meilleur compliment que je puisse m’adresser. Mais je n’ai jamais écrit un livre si plein de trous et de morceaux. Cela demandera une reconstruction, oui, et pas seulement une remise en forme. Je crains que la construction ne soit mauvaise. Tant pis. J’aurais pu me contenter de quelque chose de facile et de coulant. Mais ce que j’ai fait marque un effort pour atteindre cette vision que j’ai eue à Rodmell durant ce malheureux été, ou pendant les trois semaines qui ont suivi La Promenade au phare. (Et cela me rappelle que je dois trouver en toute hâte une nouvelle provende pour mon esprit, sinon il va se remettre à picorer misérablement. Quelque chose d’imaginatif et de léger, si possible, car après les premiers moments de soulagement divin, je vais me fatiguer d’Hazlitt et de la critique ; et je prends agréablement conscience de tout ce qui s’ébauche à l’arrière-plan de mon cerveau. Une vie de Duncan ? Non, quelque chose à propos de tableaux illuminant un atelier. Mais cela peut attendre.)

Et je pense en moi-même en marchant le long de Southampton Row : « Voici que je vous ai donné un nouveau livre. »

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" traduction de  Germaine Beaumont



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