J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 30 avril 2025

Divagations / 25 / Les mots blancs / 4

 

Se poser soudain la question de ce qui est premier : le geste de tracer les mots ( stylo ou clavier), ou la pensée qui va se déposer… Pour écrire il faut poser le premier mot — blanc encore — et laisser s’enclencher un déferlement de ce qui fera phrase, puis fragment de quelque chose et texte si tout va bien. Ce qui se détache de l’obscur, dans ce paysage de nuit, dont on ne savait rien, se met à se délivrer, s’animer, trouver une existence. Quelque chose fait halte et s’inscrit à petits pas dans le sable. Et tout est si fragile, si faible, et peut être effacé en quelques secondes. Je reprends de l’énergie dans le souvenir de la fillette, assise à son petit bureau dans la cuisine de là-bas, celle de l’enfance, et par une étrange juxtaposition du temps, je réalise qu’elle était exactement dans la même configuration physique et spatiale qu’aujourd’hui : face à un mur, une demi-cloison pour être exacte qui ne montait pas jusqu’au plafond mais permettait juste une séparation entre ce qu’on nommerait alcôve et la cuisine. Face à ce bureau recouvert d’un placage entre orange et marron, du formica sans doute, une étagère, une simple planche bricolée par mon père où étaient amassés mes trésors d’alors et les quelques livres utiles pour l’école et ceux qui m’avaient été offerts, retenus par des serre-livres en bois en forme d’éléphant. À ma droite une fenêtre très haute, qui était juste plus près du ciel que dans mon bureau actuel, car l’appartement où nous vivions était au troisième étage, et j’ai le souvenir d’hirondelles qui traversaient alors l’azur et leur trissement, mot que je ne connaissais pas, mais qu’aujourd’hui j’éprouve un réel plaisir à écrire. Sur ma gauche, le petit placard vert, comme l’étagère, où je rangeais ce qui m’était personnel, dessins, livres, cahiers, jouets, tout comme aujourd’hui le meuble à quatre tiroirs, sur ma gauche également, dans lequel reposent cahiers, carnets, stylos, dossiers … Je me souviens bien avoir tenté de mettre ce meuble à tiroirs et sur roulettes sur ma droite mais il y avait quelque chose dans cette disposition qui ne me convenait pas. Je comprends mieux pourquoi à l’instant. Je me revois mâchouillant mon crayon ou stylo, les yeux levés vers le plafond en attendant que descende l’inspiration, comme je croyais que cela se faisait, avant de poser mes premiers mots dans un carnet rouge où je m’essayais à jouer à Victor Hugo, ou plus simplement à faire comme mon père qui noircissait, de sa belle écriture penchée, des cahiers ou carnets sur son bureau dans la chambre. Je prends conscience de cette configuration similaire avec étonnement et aussi plaisir: la petite fille que j’étais n’a pas totalement disparu.


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