Ci-gît une maison
blanche dont le cœur à ciel ouvert laisse résonner autre chose que des
pas. Où personne n’a jamais vécu mais que chacun ou presque peut hanter.
En guise de pulsation, quand le soir tombe et avec lui notre soif
d’élévations, on y perçoit l’écho des noms dont on l’a affublée, des
noms rafistolés au fil des ans par l’Histoire, et qui tous ont échoué à
ternir ses aspirations solaires. On l’appela dans un premier temps la
Maison indigène, ou Maison mauresque, mais certains préféraient dire :
la Maison du Centenaire, ou encore la Villa du Centenaire, puisqu’elle
avait été inaugurée à Alger en 1930, à l’occasion du centenaire de la
présence française en Algérie. Après l’Indépendance, elle devint, à la
suite d’une impressionnante dilatation temporelle, la Maison du
Millénaire – la vieille Al-Jazā’ir ayant alors purgé vaillamment ses dix
siècles d’existence.
Qu’elle soit centenaire ou millénaire, mauresque ou algérienne,
française ou ottomane, je la sais secrète et complexe, tout en
bruissements contenus, au sein même de son silence. Comme toutes les
maisons, elle a désiré des hommes dans son ventre de pierre, et comme
toutes les maisons, elle a pris soin de leur rappeler qu’ils n’étaient
que des hôtes éphémères. Des silhouettes s’y découpent, certaines
familières, d’autres plus énigmatiques, mais toutes ont à mes yeux
l’attrait de fantômes précieux. Je distingue des accents, je reconnais
certaines allures. Ce sont mes étrangers premiers, mes proches
d’antan. Vers eux, aujourd’hui, je vais. À reculons, en espérant que le
mur de cette maison aura la tiédeur d’un torse ami.
Claro "La maison indigène" ( Actes Sud 2020)
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