Le fil. Celui qui se déroule sur les tableaux de Safet Zec découverts un soir de fatigue à Venise. Furetant dans mon stock de photos sur l’ordinateur, je m’arrête sur celles de l’année 2017, et retrouve très vite toutes celles que j’ai captées des peintures exposées dans l’église Santa Maria della Pietà, sous le terme Exodus, réalisés par le peintre serbo-croate Safet Zec. Je me souviens de ma sidération face à toutes ces œuvres qui m’encerclaient. J’étais entrée là sans savoir ce qui m’attendait. La foule dehors au bord du Canal di San Marco, la chaleur, la fatigue après des heures de marche dans la ville, et cette église avec l’affiche d’une expo en entrée libre. La découverte, pas à pas, de ce qui se donnait à voir et où il m’a fallu un peu de temps pour comprendre l’ampleur de ce qui se tenait là sous mes yeux, tous ces corps vêtus de blanc, se serrant les uns contre les autres dans le naufrage de leurs vies, et ce fil rouge traversant tous les tableaux gigantesques qui me toisaient. Je ne vois plus que lui, ce fil comme un ruisseau de lait qui fuit – écriture de sang torsadée qui s’enroule autour des corps étendus de la plante du pied aux manches ou la taille d’un enfant – fil rouge qui relie, accroche le regard de celui qui, hébété, se tient face à ces corps qui enserrent d’autres corps ceux des enfants qu’il faut protéger, rassurer, bercer, revêtus du blanc de l’humanité dans son devenir. Le sillon rouge ruisselle de ce sang de toutes les plaies et s’imprime dans la mémoire. Ne pas lâcher mon fil rouge, celui qui me relie à la petite fille d’il y a si longtemps, ne pas emprunter les chemins qui ne sont pas les miens mais ceux que l’on a voulu me faire prendre, et laisser fulgurer cette langue de vertige.