Attendant, vers le soir.
Vers le soir, attendant l'obscurité, je me mets au bureau et j'écris. Depuis que je suis obligé de ne plus sortir de chez moi, c'est la bonne heure: on capture les rêves, même sans le vouloir, tandis que les choses alentour, d'ordinaire indifférentes, s'animent et renvoient des souvenirs et des pensées. Reviennent des regards que je croyais perdus; je réentends quelques voix, revois des visages disparus depuis des années et qui ne sont plus jamais réapparus — des visages inventés, peut-être.
Parfois je bouge un peu et jette un coup d'oeil par la fenêtre: il se passe toujours quelque chose là-haut, beaucoup plus que sur la terre, à l'heure brève où jour et nuit se confondent. À ce moment-là, au couchant, chaque variation de lumière est comme retenue dans l'air et intensifiée — pour peu de temps encore, avant la disparition — par les eaux et leurs miroirs, épars entre les îles, proches et lointains.
Aujourd'hui, après un vaste couchant orangé, s'ouvre soudain dans le silence, violemment, un pan de ciel bleu intense. Il tend au bleu-vert sur ses bords, sa couleur est peut-être le turquoise.
Puis il passe du bleu intense à un bleu encore plus profond, brillant et froid sur ses bords. Sa couleur, est peut-être à présent le cobalt.
Les campaniles les plus hauts, de ce côté de l'horizon, perdent leurs couleurs terrestres: ils deviennent célestes, bleu foncé ou cobalt. Les petits immeubles sur l'eau prennent un ton violet inédit. (...)
Mais commence lentement à s'étendre entre ciel et terre, à naître et à grandir, ce que chaque soir, nous appelons la nuit. Les campaniles retrouvent leur couleur terrestre, avant de disparaître; dans les petits immeubles sur le canal, quelques lumières font leur apparition, comme si le pire était passé. Et les premières étoiles d'une belle nuit d'hiver rejoignent leur place dans le dessin lumineux des constellations. ( p 109)
Le temps passé ne se renouvelle pas, ne se compare pas, ne grandit
pas : il se contente de disparaître. Le temps présent s’est comme
resserré, il devient de plus en plus limité et gris. (p. 215)
Paolo Barbaro " Les deux saisons", traduit de l'italien par Christophe Carraud ( Editions de la revue Conférence 2017)
1 commentaire:
Merveilleux!
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