J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 18 septembre 2021

Nœuds de vie

 


Il me reste souvent, après un voyage en voiture, un souvenir plus tenace des étapes faites à la brune, dans les heures tardives de la soirée d’été, quand la recherche d’un gîte problématique pour la nuit nous aiguillonne, et que la nuit qui tombe retrouve pour le voyageur un peu de son inquiétude ancienne. En septembre dernier, j’avais quitté dans le soir avancé – ses hôtels combles contre toute attente – la petite ville de Sancerre pour rouler vers l’ouest à travers la Sologne, mal assuré de trouver quelque part le gîte et le couvert au creux de ses brandes. Quand je dévalai de la haute colline, le soleil frisant arrosait encore glorieusement les pentes de vignes, puis le pays de Henrichemont commença à tordre capricieusement la petite route au gré de ses coteaux et de ses vallons raides, couturés de haies, où la nuit gagnait peu à peu comme la crue d’un étang noir.  Je plongeai au long d'une pente douce vers le bas-pays par de longues lignes droites voûtées de branches; un œil de jour d'un jaune mourant s'entrouvrait et se ranimait par instants dans le fond écrasé de la perspective. La nuit s'établit tout à fait et je roulai presque silencieusement, comme emmitouflé dans une fourrure odorante qui m'eût dispensé non le chaud, mais la fraîcheur.

Julien Gracq " Nœuds de vie " ( José Corti 2020)

1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Quelle langue, on ne s'en lasse jamais.