J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 12 octobre 2024

Divagations/ 8

 

 

de mon étrange relation avec Virginia...

Lors de ces ateliers mensuels, chacun est appelé à retravailler le texte, produit sur un temps relativement court, à lui redonner forme, même à totalement le remodeler s’il le souhaite et à donner aux autres membres du groupe ce qu’ils estiment achevé. Certains le font, d’autres pas. À chacun sa manière de se situer, de s’impliquer ! La quatrième séance a tournicoté autour des métaphores qui sont nombreuses dans les récits de Virginia et à partir desquelles je les ai incités à faire le portrait d’un personnage inventé (ou non) en utilisant des métaphores adaptées. Puis je leur ai fourni avant la séance suivante le texte de la nouvelle La marque sur le mur pour qu’ils aient le temps de la lecture. On ressent la sensation, avec cette nouvelle, de pénétrer l’esprit de Virginia Woolf.

Un décor est planté avec la saison, le feu dans la cheminée, les chrysanthèmes dans une coupe, la cigarette après avoir pris le thé, la fumée qui crée un écran entre elle et le feu, la vision de la cavalcade de chevaliers vêtus de rouge gravissant le rocher. Et la marque sur le mur. Puis sa pensée virevolte autour de cette marque, et émet l’hypothèse de la trace laissée par un clou qui aurait accroché un tableau. La pensée s’évade ensuite vers les propriétaires qui auraient accroché ce tableau. Puis le fil de la pensée part ailleurs, et elle se met à faire l’inventaire de choses perdues, puis elle s’échappe vers un trajet à métro et la réflexion de la brièveté de la vie. Elle passe ensuite à des mots sur des plantes, revient à la marque sur le mur, pense à la poussière. Un élément extérieur attire son regard : une branche d’arbre qui cogne à la vitre, puis elle évoque Shakespeare (peut-être le livre qu’elle a entre les mains). On a parfois tendance à perdre le fil et nous voilà confrontés à la métaphore du miroir, aux impressions qu’elle ressent. Un léger détour par des considérations politiques ou sociales, avec le mot liberté qui surgit. Et on revient à la marque ! À nouveau les pensées tourbillonnent autour de la notion de savoir ou de non-savoir. On s’approche et on s’éloigne en permanence du sujet qui importe. On se perd dans des digressions sur les arbres, les insectes, les oiseaux. Et enfin on s’approche de la marque sur le mur. Dans le livre de Monique Nathan, on lit ceci à propos de ce texte :

 Une des nouvelles de la Maison hantée éclaire la démarche de cet esprit errant qui se laisse engluer dans l’objet, s’y enfonce, puis en émerge tout alourdi des alluvions du rêve. Un jour d’hiver après le thé, V W fixe sans faire attention une tache sur le mur. Son imagination est mise en branle, elle vagabonde autour de cette tache, plonge dans une rêverie vague et désordonnée, remonte vers l’objet, s’enfonce à nouveau jusqu’à ce que, par une association incontrôlée d’images et de pensées, toute distinction soit abolie entre réel et irréel et que jaillisse des apparences où elle est enfouie l’unité de la perception.

V. Woolf en proie à des sensations qui se déploient dans un univers presque hallucinatoire, qui s’apparente à une vision. Comme préparatoire à l’acte d’écriture. Une « traversée des apparences » au sein d’un quotidien. D’autres visions se retrouvent dans son écriture. Le moment de la flaque dans l’allée (Instants de vie): Il y eut le moment de la flaque dans l’allée ; où sans raison imaginable tout devint soudain irréel. J’étais en suspens ; je ne pouvais franchir la flaque. J’essayai de toucher quelque chose. Le monde entier devint irréel

On retrouve cette obsession de la flaque dans un passage des Vagues : Voici la flaque que je ne puis franchir, dit Rhoda dans Les Vagues. J’entends tout contre moi le bruit de la grande meule. L’air qu’elle déplace me frappe au visage. Tous les objets palpables m’ont abandonnée. Si je ne parviens pas à tendre les mains, à toucher quelque chose de dur, ma vie se passera à flotter, chassée par le vent le long d’un corridor éternel. Comment traverser ce gouffre et rejoindre mon corps ?»

J’ai donc proposé au groupe de travailler à leur tour ces « visions », en fixant son attention sur quelque chose que l’’on voit ou croit voir : une image qui défile sur l’écran d’ordinateur et dont on aperçoit qu’un morceau qui entraîne sur une fausse piste, un passage rapide en voiture où l’on saisit une image, quelque chose que l’on attrape au vol sans savoir ce que c’est et l’esprit alors divague. Tenter par l’écriture de faire des aller-retours entre ce que vous voyez (ou croyez voir) et les pensées qui naissent et emportent plus loin. Ne confier qu’à la fin ce qu’était réellement cette « vision ».  Et à chacun de s’aventurer dans un monde improbable.

 à suivre

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