J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 16 octobre 2024

Divagations/ 9

 

 de mon étrange relation avec Virginia...

Arpenter les alvéoles où se tenaient les bouquinistes de Saint-Étienne lors de la fête du livre : il y a une sorte de plaisir à se laisser agripper par une couverture dont on ne sait rien, dont l’existence nous était inconnue, et donc que l’on ne recherchait pas. Fouiller dans ces étals, comme marcher dans une forêt et trouver des champignons ou un buisson de mûres…Et là, dans des caisses pour les enfants, tomber sur le nom de Virginia Woolf. Penser qu’il y a dû avoir une erreur de rangement, à laquelle il faudrait remédier. Feuilleter l’album et réaliser que c’est bien un texte de Virginia écrit pour les enfants, sans doute pour les enfants de sa sœur, et illustré par Magali Attigé. Je l’ai acheté bien sûr. J’ai recherché ensuite d’où provenait cet écrit dont je n’avais jamais entendu parler.

Nurse Lugton's curtain, cette histoire merveilleuse écrite pour sa nièce en 1924, a été trouvée parmi les pages manuscrites de son Mrs Dalloway et préfigure les thèmes qu'elle développera quelques années plus tard dans son essai intitulé Une Chambre à soi. Dans une vieille demeure victorienne, Mrs Lugton est en train de coudre à la lumière d'un lampadaire, auprès d'une cheminée éteinte : elle a promis à Mme Gigham un rideau pour son salon. Tandis qu'elle est à son ouvrage, un monde onirique attend patiemment, emprisonné dans le motif du tissu. Quand, enfin, elle sombre dans un sommeil profond et que résonnent ses premiers ronflements, les animaux qui ornent le rideau ouvrent grands leurs yeux. Mais attention, Mrs Lugton peut s'éveiller à tout instant et les figer à nouveau dans les plis et replis de l'étoffe... À travers un univers foisonnant, aux couleurs franches et vives, Magali Attiogbé déploie un exotisme joyeux, tout droit sorti de nos rêves d'enfants

 

Je n’aurais certes pas imaginé trouver un album illustré d’un texte de Virginia. Mais il va rejoindre l’étagère près des autres livres d’elle. A la toute fin du livre, une présentation rapide de l’autrice est esquissée, où l’on peut lire :

Virginia Woolf était une femme libre. Dans « Une chambre à soi » (1929), elle écrit qu’un femme a besoin de disposer d’une pièce bien à elle pour être en mesure de développer son imaginaire et de créer – un peu comme Mrs Lugton, qui ne peut laisser libre cours à sa rêverie, trop occupée à coudre le rideau de Mrs John Jasper Gingham pour laquelle elle travaille. Peut-être aimerait-elle, elle aussi, décrire les aventures des animaux dans la cité merveilleuse de Millamarchmantopolis?

 

J’ai donc réalisé quelques recherches sur ce texte que je découvre.  Le récit, baptisé « Nurse Lugton’s Golden Thimble » parut en 1966 chez Hogarth Press, maison d’édition fondée par Leonard et Virginia Woolf en 1917, avec des illustrations de Duncan Grant, peintre appartenant au groupe de Bloomsbury. Il a été traduit en italien en 1976 Il dilate d’oro , puis en 1983 en français, puis en 2010 dans une nouvelle traduction . Celle que j’ai sous les yeux en est encore une, plus récente, réalisée par Aline Azoulay-Pacvon. Dans ce conte, j’aime particulièrement cet état de somnolence où tout devient possible. Je suis aussi marquée par les illustrations qui fixent des images. J’aimerais bien voir les autres versions illustrées et pouvoir comparer les sensations ressenties, ou découvrir le texte avec la sensibilité d’un enfant. Et retrouver la présence des flaques me comble…

 

Un court extrait évoquant les animaux :

Ils descendirent s'abreuver et, peu à peu, le bleu du rideau (car Mrs Lugton confectionnait un rideau pour la fenêtre du salon de Mrs John Jasper Gingham) se transforma en une prairie tapissée de roses et de pâquerettes, parsemée de pierres blanches et noires, de flaques, et traversée de chemins charretiers sur lesquels bondissaient de petites grenouilles craignant d'être piétinées par les éléphants. Tous dégringolaient la colline pour aller boire au lac.

à suivre...

 

 

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