J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

lundi 24 février 2025

Ricochets/ Année 2 / Semaine 7

 


1/ Chaque jour, il suffirait de cartographier les ombres, celles du matin, celles de midi, celles du soir, celles brèves et denses et celles qui s'abandonnent d'un côté ou de l'autre, nuages de pensées, voiles de langue distendus ça et là, empreintes de mélancolie, hématomes du paysage, vagues de silences, messages du soleil déposés du bout des lèvres, chairs de sel, ondes d'ennui, pointillés à contrejour à contretemps. Pour être bien.

2/ Quand on ne sait pas jouer du piano, on laisse ses doigts effleurer les touches blanches, se nourrir de notes, comme on cueille ici ou là dans une prairie de printemps un bleuet ou une fleur sans nom. Les doigts picorent et disent la tristesse de ne pas pouvoir faire autre chose qu'un chant d'oiseau sur trois notes, un appel, une plainte; Il est trop tard désormais pour pouvoir apprendre.

3/ Chacun sa propre langue au fond de soi. Une langue basse comme un ruisseau de voix se faufilant dans l'ombre, abandonnant l'air de rien quelques grains de sable, quelques alluvions pour le devenir de nos vies. Avec des phrases que l'on ressort toutes faites, parfois sans comprendre ou en souriant. Le terreau de l'enfance, du soi d'avant et de ce qu'il devient, nourri, abreuvé de tout ce qui s'est envasé.

4/ Sous les arcades noires d'un cloître chercher ce qui est éperdu, en marchant de la tête aux pieds, repoussant l'air devant soi, allant vers cet ailleurs déposé entre les rais de lumière, seuil après seuil. Tourner de gauche à droite, toujours, pour reprendre le chemin de méditation, comme au début de soi et se continuer, se recommencer à chaque pas qui franchit, avancer encore vers un après un plus loin.

5/ On sort de la nuit et de ses recoins avec du sable au fond des yeux qui crisse. La vision prend du temps, tord le réel comme on essore un tissu, pour se régler sur le jour, s'ajuste et se réajuste. Tout n'entre pas dans le champ de l'œil. On abandonne sur les bordures ce qui n'est pas, n'importe pas encore. En soi déjà l'enclave d'un espace isolé et protégé.

6/ Derrière la vitre à regarder le vent. Sa portée et son fruit, le ricochet de l'air sur le jardin, sur les arbres, sur les papiers qui s'envolent, sur les visages, sur l'état d'esprit, sur les pensées qui vont, à rebours, virevolter vers l'envers de soi. S'élevant des dessous, des territoires sombres qui nous forgent, il y a de la tragédie qui pourrait s'insérer, engendrer quelque chose comme un soudain désordre.

7/ Dans le mensonge git le songe. Et dans le songe se diluent les nuages du mensonge. Comme une nécessité pour pouvoir faire face à la logique des jours, et enjamber les écueils et peut-être même les pièges tendus sur le chemin. On s'imagine au seuil d'un jardin, odeur de terre mouillée, les genoux écorchés de disgrâce, à songer à ce que sera sa vie par-delà les mirages et les ombres.

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