La
première fois, pour moi, du moins, c'est seulement
une image, un déluge de lumière crue tombée d'un ciel de craie sur
la façade, sur les chemises blanches des hommes et les corsages
blancs des femmes, à l'exception de tante Lise
toute
de noir vêtue sur la plus haute marche quoiqu'elle ne fût pas
encore aveugle, comme si elle avait porté le deuil éternel de la
chair qui ne revit jamais que pour mourir, que chaque instant qu'elle
passe dans la lumière, chaque mot, chaque geste – et jusqu'au
premier cri, jusqu'au lent mouvement de protestation, d'épouvante du
nouveau-né – rapprochent de l'instant où elle cessera d'être la
chair pour devenir une image dans la mémoire des vivants puis une
image au mur ou pas même une image : une présomption de la
chair, la certitude qu'elle a dû être, avant, qu'elle s'est trouvée
déjà mêlée à la lumière et au temps puisqu'elle demeure.
Pierre Bergounioux " La maison rose" ( Gallimard)
1 commentaire:
rose pâle
comme la chair
si pâle cachée
de noir obscur
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