(Texte écrit pour l'atelier d'écriture de Tiers-livre " Prendre" pour la proposition d'écriture "Mâcher du rouge")
J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)
samedi 23 janvier 2021
Gris
Le gris est un cri qui s’effiloche
entre les toits de tôle et les fumées qui s’élèvent pour
rejoindre un ciel de nuages sales, le gris est un cri qui se faufile
sous la peau où il creuse ses sillons d’ombre, le gris se
bricole dans les creux, il s’extrait des grumeaux de granite aux
grains d’ombre, il s’accroche aux ongles sur les lichens d’argent
où se scrute un carcan d’être en devenir, il s’égare dans
l’entre mou des grisailles d’un tableau, le gris se lave à
l’encre de Chine, se rafraichit d’une coulée d’ardoise, se
flanellise, gagne des galons de tristesse dans des chaos de pierres,
il se fume, frelate la misère, le gris se désature, se
sacraliserait presque lorsqu’il se perle, s’anoblit dans le
pinceau de Rouault sur son Miserere, le gris s’étoffe de brume ,
se dépose et se perd en gouttelettes de brouillard, se charge ou se
décharge d’encre noire, le gris se brise et rit, se chine, se trie
d’entre les cendres, il devient charbonneux, souffreteux et malsain,
sinistrement pâle il s’épanche et se vide, le gris se vrille
dans les lambeaux de soi, le gris se relie au lin, s’alourdit de
pierre ou de plomb, se pommèle, le gris est pour toujours la teinte
de la Lozère et de ses toits en lauze, du Causse aux tons
exténués d’un caban de berger, le gris en quête d’ombre se
mélancolise, s’enivre de nuances, s’anthracite de souvenirs
pesants, se lance au large des phrases, teinte obstinément le ciel
d’étain d’où des oiseaux surgissent, le gris réserve un
accueil froid, il se glisse dans des courants d’air, il est oiseau
de mauvais temps et de mauvaise augure, le gris est rumination et
macération, le gris est un guetteur de givre, le gris pris comme un
être inassouvi, endolori aussi, il suinte et suppure, le gris se
retrouve dans les rêves arborant ses tentures lourdes, parfois on
lui octroie un pas de côté, il se bleuifie, puis il se recrache à
petits coups de blues par les yeux et par les lèvres, il engrise nos
âmes dans ses enclaves d’ombre, il se décompose, se pressent
couleur de pas grand chose, et sans savoir pourquoi on a la
singulière impression qu’il est la couleur du silence, le gris se
poétiserait alors jusqu’à la corde et loin de renoncer à son
cri, de douceur et de tendresse, on lui rendrait son éminence.
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1 commentaire:
Qu'est-ce que c'est beau !!!
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