J’écris de la fiction, mais celle-ci n’est jamais privée d’assise, elle ne vient pas de nulle part. Quand j’écris, je dois tout ressentir en moi. Je dois être traversée par tous les êtres et tous les objets présents dans le livre, par tout ce qui y est humain et tout ce qui ne l’est pas, ce qui est vivant et ce qui ne l’est pas. Je dois voir de près chaque chose et chaque personne avec le plus grand sérieux pour les doter d’existence en moi et les personnaliser.
C'est précisément à cela que me sert la tendresse, parce qu’elle est l’art de concrétiser un ressenti affectif partagé, elle est donc une découverte permanente de ressemblances. Concevoir un roman consiste à ne cesser de donner vie, à faire exister toutes ces particules du monde que sont les expériences humaines, les situations vécues, les souvenirs. La tendresse personnalise tout ce vers quoi elle se porte, elle lui donne la parole, lui assure de l’espace et du temps pour exister, elle lui permet de s’exprimer.
La tendresse est la variante la plus humble de l’amour. Elle est de ces affects qui n’apparaissent ni dans les Écritures ni dans les Évangiles. Personne ne prête serment sur elle, nul ne s’en réclame. Elle n’a ni emblème ni symbole particuliers, elle ne mène ni au crime ni à la jalousie.
Elle apparaît quand nous tournons un regard attentif et concentré vers l’existence de l’Autre, vers ce qui n’est pas "soi".
La tendresse est spontanée et désintéressée, elle va beaucoup plus loin que l’empathie compassionnelle. Il s’agit plutôt d’un partage conscient, quoique peut-être un peu mélancolique, du destin. La tendresse, c’est se sentir intensément concerné par l’existence d’un autre, par sa fragilité, son caractère unique, sa vulnérabilité face à la souffrance et à l’action du temps qui passe.
Olga Tokarczuk "Le tendre narrateur" Discours du Nobel ( traduit du polonais par Maryla Laurent) Les éditions Noir sur Blanc (octobre 2020)
4 commentaires:
"La tendresse, c’est se sentir intensément concerné par l’existence d’un autre, par sa fragilité, son caractère unique, sa vulnérabilité face à la souffrance et à l’action du temps qui passe."
Cette phrase m'incite à me lancer dans la lecture d'un énorme pavé reçu pour Noël d'O Tokarczuk intitulé "Les livres de Jakob ou le grand voyage". Rapporté par les défunts leur récit se voit complété par l'auteure selon la méthode des conjectures puisées en divers livres mais aussi secourues par l'imagination qui est le plus grand don naturel reçu par l'homme : dit la couverture
Très beau texte sur la tendresse
J'ai lu "Les livres de Jakob" cet été et j'ai été emportée dans cette aventure. Ai lu aussi " Dieu, le temps, les hommes et les anges" et j'ai "Les pérégrins" qui m'attendent! Cette autrice me plait bien et j'espère qu'elle te plaira aussi.
Moi aussi je vais m'y mettre. Merci pour le teaser !
Vous me tentez. Il y a de L'intensité dans l'extrait et dans vos dires.
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