C’est le soir l’automne
Je pense seulement
À mes parents
(Buson)
C’est encore plus difficile à commenter. Et pourtant ici… un événement se produit, je dirais comme une boule d’émotion qui est représentée, qui est dite, qui est donnée (tristesse, nostalgie, amour), là, dans ma gorge ce qui fait que peut-être la transformation ultime du « C’est ça ! » du haïku, ça serait, non pas « Ça n’est que ça » qui est une transformation dérisoire et malveillante, mais ça serait « C’est là ! », comme une émotion, comme une boule qui est là dans la gorge.
Le haïku est d’ailleurs très conscient de la limite du langage et peut dire cette limite puisque, par exemple, le haïku :
Rien d’autre aujourd’hui
Que d’aller dans le printemps
Rien de plus
(Buson, Munier)
Il me semble que le plus souvent il est impossible de dire pourquoi tel haïku me plaît, me « va », pourquoi « ça marche », pourquoi ça fait « tilt » et en même temps j’ai vraiment le sentiment que ce haïku qui me plaît, ne plaît pas forcément aux autres. D’ailleurs, j’ai fait l’expérience, dans ce cours même, en lisant de temps en temps des haïkus, très souvent il me suffisait de le lire à haute voix pour me dire que je ne l’aimais pas tellement. Il y a une sorte de déflation, c’est quelque chose d’extrêmement fragile parce que en réalité il ne faut peut-être pas redire un haïku. C’est peut-être tellement éphémère que ça doit vous emporter tout de suite et à jamais. Et que l’on ne peut presque pas lire des haïkus, et bien entendu le contresens énorme c’est de faire tout un cours sur le haïku ! Mais bon, de toute manière, ça n’est qu’un détour, n’est-ce pas ? Nous sommes dans un détour, nous allons revenir ailleurs après. Donc impossible de dire pourquoi ça me plaît. Et, pour ébaucher une esquisse d’explication du « bon » haïku, je suis sans cesse obligé de me référer, non pas à un Beau en soi, mais à une disposition absolument personnelle : c’est donc la plus fine des spécifications individuelles
Roland Barthes " La préparation du roman" (Cours au Collège de France)
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