Rien ne s’était encore jamais passé. Le temps était dans l’espace comme un caméléon sur la lune. Vierge, seul, invisible. Mais comme un caméléon soudain se mord, et du sang jaillit du grand corps blanc, le temps et l’espace se sont séparés. Le ciel et la terre étaient créés. Pas comme un toit et de l’herbe et de l’ombre de toit sur du bas d’herbe. Pas comme le cheveu d’un pied, le chapeau dune chaussure, le rooftop langoureux d’un rez-de-jardin chétif. Non. Le ciel, la terre, ensemble et séparés. La grande aile de la terre. La belle semelle du ciel. Le ciel entier. La terre totale. (…)
Alors Dieu inventa l’impératif. Dieu, lui-même issu du plus mystérieux super-impératif, celui qui, ordonnant quelque chose, espère qu’on lui désobéisse. Dieu inventa l’impératif. Sois. Et le soleil éclata le ciel. Et tous les phares s’éclairèrent, et tous les néons des plus souterraines salles de mauvaises réunions ou plus clandestins groupes, et toutes les bornes des sorties de parkings et celles au bout début et fin des couloirs d’hôpitaux, s’allumèrent. Et terre et ciel se virent.
Et Dieu vit que ce premier regard de la terre sur le ciel, du ciel sur la terre, à cause de la lumière était beau. Et Dieu, pour que puisse subsister ce regard longtemps, plusieurs heures, pour que puissent se passer des histoires entières pendant ce regard, Dieu sépara la lumière du noir. Dieu sépara le jour de la nuit, et demeurerait pour jamais, pour toujours, désormais, une petite ligne brisée entre noir et jour, entre les rêves aveugles et les douleurs visibles.
Milène Tournier "Se coltiner grandir" ( éditions Lurlure 2022)

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire