1/ La sensation que tout s'active à nouveau entre les tempes. Cela fuse même un peu trop. Il faut rester dans la vigilance. Dans le repli aussi. Ce nécessaire plissement où se tenir pour ne pas se perdre. Et guetter ce qui tremble encore. Car tout fuit. Suivre les traces de l'intempérie dans la pénombre. Étreindre ce qui s'effeuille. Il ne resterait plus alors qu'à recouvrir les plaintes sous les lichens.
2/ Encore un jour où chercher les lumières aux alentours de soi. Les souvenirs de chagrins résonnent, s'insinuent comme une mélopée qui trace son sentier, raye les bas-côtés des talus d'une trace rouge qui fuit et que l'on retrouve un peu plus loin. Inventer une fugue et les entraîner sur des terres inabordées, finir par délier les nœuds qui enserrent, ouvrir les paumes au-dessus d'une eau. Faire face à la métamorphose.
3 C'est un passé toujours recomposé qui sinue en nous. Le passé, dans sa réalité, ne peut être. Tout est à reconstruire. Les faits, les émotions, les paroles ou pensées, les conclusions où l'on arrive. Écrire pour fixer un éphémère dont on a peur qu'il se dilue. Écrire comme une manière de traduire La littérature depuis les premiers récits connus comme un alphabet du ciel et un alphabet de la terre*.1
4/ Et si écrire était une manière de se donner du temps, ou plus exactement d'étirer le temps, de lui donner de l'ampleur, d'agrandir l'espace où l'errance nous porte. Mettre à jour un ailleurs où s'étale une matière malléable et bougent des ombres au bruit de paille. Dans ce repli, se laisser guider par une mésange ou un merle, abandonner le réel au bas du talus et avancer dans ce sortilège.
5 / À l'écart du monde, dans l'absence de sons, porter l'attention sur ce qui émerge hors des gémissements. Se complaire dans la musique des mots piochés entre des lignes lues, dans l'envoûtement d'une musique choisie où l'on se sait enveloppé d'harmonie et de douceur. On a juste besoin de cela. Ne tourner que des pages de lumières pendant quelques heures afin d'élargir le passage de la vie, comme vers une naissance.
6/ Un coin, un recoin ou une encoignure*2, c'est là que se protéger est capital. Pour lire, pour écrire, pour laisser les pensées voguer, se diluer, essaimer. Et pour se garder à distance d'un monde dont on ne peut rien faire. Cheminer vers son phare intérieur, bien protégé par les parois de papier, et se laisser guider dans les méandres de ses pensées. Comme errer en sécurité dans un royaume intermédiaire.
7/ Là où se tient l'invisible, où rampent des sensations, des intuitions, là où prévaut la poussière, près de la terre, c'est là qu'il est bon de se calfeutrer. Dans cette obscurité d'ombres. Dans ce recoin de taupinière où brillent parfois quelques lueurs. À l'abri d'un réel dont on ne peut se dépêtrer, qui englue ou paralyse. Le temps d'une hibernation, de s'extraire du tourbillon est nécessaire, comme de manger du chocolat ou des cerises. Plus tard on reviendra à la lumière du jour, on effritera les murs de silence dont la nécessité se fait criante. Des mots s'articuleront entre les lèvres. On parlera à nouveau. On reviendra vers les autres. On rira avec eux. On tentera de maintenir l'équilibre des plateaux du bien vivre, du bien être. On fera peut-être semblant. Et on poursuivra le chemin. Un peu plus serein.
1Marc-Alain Ouaknin
2Pascal Quignard
1 commentaire:
Je ricoche à cela ô combien !
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