J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 6 mars 2024

Ricochets/ 9

 


1/ Construire son propre temps, c'est prendre soin de soi. Ouvrir les portes à ce je qui réclame souffle. Ne pas oublier que l'on évolue toujours dans une démarche d'apprentissage, de découverte, de traduction, d'interprétation. Il reste à donner sens. Par la langue. La laisser résonner, et peut-être même se laisser soigner par elle. Une thérapie par la lecture et l'écriture intimement liées. Tel un canari dans une galerie de mine.

2/ Quelle main secourable, jaillissant des ornières de la vie, sinon celle de la lecture... C'est ce que nous redit Marcel Proust dans Sur la lecture. Et l'on sait d'expérience que cette assertion est fiable. Cette impulsion venue de ce qui est écrit vient toucher ce quelque chose au fond de soi qui, seul, ne parvenait pas à s'exprimer. Les deux intimes se rejoignent et s'accompagnent. Virgile et Dante au paradis.

3/ Suffit d’entamer le tunnel d’une phrase*i et se laisser emporter. Cela vaut pour la lecture. Mais aussi pour l'écriture. Le temps s'articule alors d'une toute autre manière. Le temps éprouvé se conjugue avec distorsion et s'éloigne d'une réalité à laquelle on préfère son propre réel. On se recroqueville dans cette ornière choisie, le regard porté sur un horizon autre, hors de tout présent, et porteur d'ailes aux lettres de rêverie.

4/ D'où viennent les forces nécessaires à enjamber les obstacles qui se dressent sur les parois du jour ? L'élan qui pousse à aller de l'avant en faisant fi de la réalité, en martelant qu'il faut aller au bout de sa route, et trouver en soi l'équilibre interne, le possible dans cet impossible qui se dresse, avec impertinence, devant soi. Il suffirait d'aller de l'avant, de dire on continue et basta.

5/ Y-a-t-il vraiment une route que l'on aurait à suivre... Ne seraient-ce pas plutôt des enchaînements de carrefours, avec même la présence de ronds-points, pour pouvoir tourner un peu en rond, et revenir même sur les ornières creusées... Personne ne sait vraiment où il se dirige, où ses pas le conduisent. Les vies sont faites de solitudes sans certitudes. Mais de solitudes entrouvertes, avec des choix pour briser les lignes droites.

6/ Peu. Rien. Silence. Tenir. Sauf. Écrire. Calme. Carnet. Poème. Rester là. Lichen. Dehors. Dedans. On peut . Comme si de rien. Mur. Os. Peu de bruit. Fond de ciel. On est là. On ne sait pas. Personne. Une façon de peu. Comme devant un seuil. Plier langue. Plus rien. Bouts de jour. Pour ouvrir l'œil. Comme des mots. Au pied du mur. On est debout. En face. Ombre. La tête se creuse.**

7/ Dans les recoins de nos vies minuscules, garder corps. Et mots. Sans autre boussole que ce qui frémit en notre intime. Prendre image chez le petit enfant qui découvre l'équilibre de la marche, rit de cette victoire incroyable et avance, avance encore plus loin. Dans le risque de son pas. Et le désir du pas d'après. De soi à hors de soi. Vers la main tendue et les bras ouverts.

* Ahn Mat

** Antoine Emaz

2 commentaires:

Ange-gabrielle a dit…

Intéressant : à la question posée au §4, tu réponds par les § suivants ; bien sûr, pas "sauter les obstacles" peut-être juste faire silence, les contempler, en faire le tour, les laisser disparaître sans bruit, ... enfin tout ce que tu écris si bien
Et tes photos, on oublie de t'en parler : elles sont si douces, si colorées, si "bougées" comme ce monde devant nous que l'on croit voir immobile mais qui change sans cesse

estourelle a dit…

"Trouver en soi l'équilibre interne" me semble être une bonne formule
et le plus dingue en fait c'est que parfois "ça" se trouve à notre insu
alors dans le flou ou l'errance on continue