J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mardi 26 mars 2024

Ricochet/ 12

 


1/ Entre le geste d'écriture avec papier et stylo, et celui sur le clavier d'ordinateur, quelle différence peut-on constater? Bien évidemment ce sont les ratures qui disparaissent dans le second processus et les fautes d'orthographe ou le lapsus calami. Le brouillon anéanti ( à moins de conserver toutes les versions numériques de son travail), et certes depuis que j'écris le plus souvent sur ordinateur, la page raturée, biffée, recopiée me manque.

2/ C'est comme si je marchais dans ma vie future. Des projets d'écriture sortent de mon esprit comme ces primevères sur la pelouse du jardin: hier je suis certaine qu'elles n'y étaient pas. Alors on note, de manière rapide, les grandes lignes de là où on aimerait bien aller, dans le cahier des projets. Celui à plusieurs entrées, avec ses cinq couleurs différentes qui cernent les pages: le monde des rêves.

3/ Le livre est beau. Couverture noire avec rabats, illustrée d'un végétal, que je ne connaissais pas, une Criste marine, qui déploie tige et fleur sur trois côtés du livre. Beaucoup d'élégance. Absence de nom d'auteur et de titre. Le livre impressionne. par son épaisseur, son poids. Quand on l'ouvre et feuillette, la taille confortable des caractères rassure. Le moment de lecture est venu: cent pages traversées et je suis happée.

4/ De quel mot s'emparer pour faire frissonner un fragment? Dans quelle marge de livre errer pour s'abriter de leur ombre? On lit avec attention, puis soudain, une éclipse d'esprit: les yeux poursuivent leur chemin puisqu'on tourne les pages, mais rien ne s'est inscrit entre les tempes; on vogue vers un ailleurs de mots dont on ne savait pas le chemin envisageable. On reprendra le livre plus tard; il faut écrire.

5/ Dans les petits détails qui s'offrent à nous, que ce soit lors d'une balade dans la nature, face à une personne que l'on croise, immergé dans un texte que l'on lit ou une chanson qui passe sur les ondes de la radio, il y a toute une vie minuscule qui peut élever en lettres majuscules. Il suffit juste de prendre le temps de la faire briller en lettres de noblesse.

6/ Le fil se fait toile dans un balancement d'araignée. Sur l'écran d'ordinateur, cela happe: le prédateur a bien ciblé sa proie, celle de l'ennui ou du désir. On est attiré de droite et de gauche, retiré vers le centre, à ne plus vraiment savoir ce que l'on était venu faire au départ. Englué dans la toile, notre liberté se restreint, on reste scotché derrière l'écran, et la matinée s'est achevée.

7/ Relire un carnet de notes vieux de deux ou trois ans en arrière: des notes sur des textes en train de s'écrire. Réaliser qu'il y a une mine de récits en puissance qui dorment entre ces lignes, totalement oubliés, relégués dans le tiroir du bureau, entassés avec d'autres. Et ce que derrière ce voir je n'avais pas vu. Reprendre tout cela, à contre-jour, en prenant appui sur cet écrit tremblant.

2 commentaires:

Estourelle a dit…

J'aime bien aussi les brouillons
ne disent-il pas une matière brut
en devenir et ça, ça se perd...

Ange-gabrielle a dit…

Derrière les détails il y a toute une vie minuscule ... un jour on voit que l'essentiel a toujours été dans ces détails.
" et ce que derrière ce voir je n'avais pas vu " je peux reprendre x fois, à qqs années ou mois d'intervalle et voir encore ce que je n'avais pas vu, cette re- création est perpétuelle.