J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 2 mai 2020

Des OLOÉS



Mi-juillet, déjà, le soleil peine dans ce jardin de l’Oise. D’instinct, pour l’avoir pratiqué autrement, on sait que le bon endroit pour lire écrire est ancré dans cette courbe que font le groseillier, le framboisier, les orties et le poirier, semi-cachette d’où épier les murs, la haie du voisin et les briques. Les abeilles et moucherons chaloupent, s’intéressent au clavier, à l’appareil-photo. La route est loin, le chemin derrière la clôture peu fréquenté.
Quelqu’un a installé un banc (tous ne sont pas accessibles) qu’on retourne et déplace à deux. On serait mieux par terre mais c’est encore mouillé de la nuit.
Un chant, soleil, quelques obliques. C’est vert, paisible, à peine un vent léger, à peine un avion sous les nuages. Pourtant, des mots qui blessent, durent, empêchent d’avancer, s’interposent au moment d’écrire : pourquoi ? Des mots entendus au moins deux ans plus tôt, injustes et mal venus, à propos d’un autre travail, mais c’était alors, ce travail : écrire sur le ténu, le fugace, sur ce qu’on perçoit à peine. Et à vouloir reprendre même d’une autre façon cette tentative les jugements affleurent à nouveau, la voix surtout, son grain, le ton et le débit – les mots, pas tant que ça. Qu’en faire ?
 Ciel gris. Un ciel mouvant décidément – mais écrivant ciel gris, majuscule, point, pas plus, dix touches sur le clavier, quelque chose se déchire soudain, ces deux mots justement comme sur une feuille lancée en l’air.
 
Anne Savelli "Des OLOÉS Espaces élastiques où lire où écrire" ( Editions Publie.net à paraitre en mai 2020 )

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