J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

lundi 31 août 2020

Les Présents




« Parfois, une trappe s’ouvre dans le décor quotidien. Vous étiez passée mille fois devant, sans la voir, et soudain vous vous engouffrez dans la brèche, c’est magnétique. C’est un passage dans le temps ou, mieux encore, un empilement : plusieurs époques cohabitant dans un même espace. Vous avez vingt ans ou cent ans, et ce fantôme, derrière vous, en a autant. Je crois qu’on est arrivés : rez-de-chaussée, tout le monde descend. »
 (...)
« Le passé n’existe pas, prétend-il. Si on est visité par des souvenirs si tenaces, si l’on parle du passé, si on le désigne par un mot (quel qu’il soit), si l’on est habité par son idée même, alors il est présent. Présent et vif. »
 (...)
« Je déteste quand on représente les anges sous forme de bébés potelés et ailés qui jouent de la musique : ils sont comme des hydres ou des coquecigrues, ils n’existent pas, et c’est monstrueux de les avoir inventés. Dans la réalité, les anges ressemblent à toi ou à moi, ce sont des gens très beaux qui apparaissent et qui disparaissent, c’est tout. »
(...)
Le jeu auquel joue Théo se précise. Que les pensées sauvages continuent leur migration ! et que certaines, plus sauvages encore, s’échappent de l’escadron pour suivre une voie inédite : qu’elles surgissent sans crier gare, c’est très bien ainsi. Qu’elles viennent visiter Théo sous la forme qui leur chante : celle d’un souvenir ou celle d’une fable, libre à elles. La règle du jeu consistera à les distinguer ; non pas pour en éliminer une, mais pour choisir les deux ensemble. Les garder toutes aussi sauvages que possible ; apprendre seulement à connaître leurs cachettes, à les observer dans leur milieu naturel, à les accueillir quand elles déboulent. Et apprendre à la petite cervelle de Théo comment trouver son chemin entre ces mondes, comment choisir l’aventure quelquefois, un refuge d’autres fois.

Antonin Crenn " Les Présents" (Editions Publie.net 2020) 

1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Curieux, je suis entrain de lire des contes de Mircéa Eliade regroupé dans un livre intitulé "Le temps d'un centenaire" qui fait étrangement écho à ces quelques lignes de A Crenn