C'était l'hiver continuel sur ce pays rustique, avec ses congères géantes, ses tourmentes, les burles de tous horizons, et ce halètement faible des oiseaux égarés dans les arbres nus, dévêtus par la saison. Au loin, les champs plats, gris, sans sillon. On les reprendrait au printemps, en même temps que le soleil, unissant les ardeurs et les contraintes anciennes. De minuscules collines arrondissaient, veloutaient le paysage. Les sapinières étaient reines dans tout ce blanc déchiré par les passages des corbeaux, volant en nuées, puis atterrissant sur ces steppes blanchies de fin du monde.
p 33/ L'enfant que je fus est sur le seuil, prêt à fouler l'herbe couverte de rosée, à sentir la fraîcheur sur ses chevilles... D'un seul coup, une grâce entière pénètre dans son corps et il contemple glisser sous ses yeux le traîneau blanc des souvenirs. Il n'est plus que frémissements, sensations, élans. Il se sent soudainement amoureux du monde entier. Que cette ferveur ne retombe jamais! Il serre cette espérance contre sa poitrine légère.
p 36/ Nous n'aimons rien tant que ce qui s'efface, oubliant ce qui est vivant près de nous, autour de nous. Puis un jour, il n'y a plus rien. Nous tendons la main, ouvrons les yeux, c'est le vide, le désert de la vieillesse. Où sont passées les ombres si familières? L'enfance est devenue une image floue, quelques branches seulement auxquelles on se raccroche, une région recouverte de brume, une forêt profonde où mille chemins nous appellent. Les mots-images vont à travers la forêt, comme ils avanceront plus tard sur les pages, dont longtemps j'ai cru qu'elles n'étaient que l'envers du ciel, qu'il me suffisait de mettre à plat les nuages, puis de gribouiller dessus.
Joël Vernet " Mon père se promène dans les yeux de ma mère" ( La Rumeur Libre 2020)
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