Compréhension de Sons Quasi Imperceptibles. Je n’écris pas parce que j’ai des choses urgentes à dire. J’écris pour le plaisir de remplir les pages vierges du cahier ouvert devant moi. Le cahier vierge est un livre déjà écrit à l’encre invisible. Sans me l’être proposé, j’écris au crayon. Écrire au crayon, c’est comme parler en baissant la voix. Le crayon sur le papier est la marque exacte du temps pendant lequel on écrit, le microsillon où s’imprime la musique que fera ensuite résonner le diamant. La pointe du crayon est l’aiguille du sismographe qui calcule le flux et le tremblement des mots à mesure qu’on les écrit. J’écris au crayon, un taille-crayon toujours à côté de moi, les doigts en contact avec le papier, avec les ciseaux dont je me sers pour découper des phrases, des titres ou des mots épars qui, une fois isolés, se parent d’une étincelle de beauté, une poésie inventée ni par moi ni par personne, mais surgie exclusivement du hasard. Le crayon avance sur le papier aussi discrètement que des pieds nus sur un parquet. Une femme dénudée se lève pour aller aux toilettes après l’amour et ses pas glissent sur le bois poli dans un bruissement de soie.
Antonio Muñoz Molina " Un promeneur solitaire dans la foule" ( Seuil 2020)

Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire