Une chose est néanmoins certaine : on n’écrit pas pour devenir écrivain, ce qui serait une aporie. Depuis Deleuze, nous savons que l’on écrit pour devenir autre chose. On écrit pour devenir femme, devenir animal, devenir fleuve ou devenir archipel. On écrit pour « apprendre à penser comme une montagne » selon les mots d’Aldo Leopold dans son Almanach d’un comté des sables. On écrit pour devenir vivant, reprendre vie, ressusciter. On écrit pour changer de vie. (…)
Il y a un double mouvement contradictoire dans l’acte d’écrire : d’un côté, on écrit pour devenir un autre, un autre que celui qui a écrit le texte précédent ; de l’autre, on écrit pour rester le même, pour approfondir le sillon déjà tracé. On écrit pour se fuir et se parcourir (…)
J’ai toujours eu le sentiment d’être né séparé, morcelé, fragmenté. L’écriture est une manière de tracer des ponts, de relier les îles de mon archipel, de rassembler les pièces du puzzle, de sortir de soi, de s’extirper de la dialectique infernale du dedans et du dehors. De témoigner de quelques instants d’épiphanies, de quelques moments d’extase géographique.
Emmanuel Ruben « L’archipel de l’écriture » ( Le Robert 2023)
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