J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 24 janvier 2024

Ricochets/3

 

 


1/ Et plein de pies perchées aux parages des neiges. Des chaloupes sur des branches. Des vertiges qui s'élèvent. On regarde comme on rame. C'est ce soudain du jour qui importe. Le regard se perd dans les méandres de l'arbre, les pensées s'épousent, et le murmure des mots que l'on voudrait sauver. On se les répète en boucle pour ne pas oublier. Et plein de pies perchées aux parages des neiges.

2/ Au pied d'un pin, sur une place de la ville, un pigeon étalé, mort. Des gens s'affairent, se hâtent vers leur bus ou leur voiture garée là, se rendent à l'épicerie pour des achats oubliés. La vie s'agite, se perpétue, continue son cycle. À quelques encablures de là, le crématorium, où l'on vient de laisser un corps en train de devenir cendres. C'est quelqu'un qui s'efface et que j'aimais bien.

3/ Il est des rituels dont on doit se nourrir. Marcher sous la galerie d'un cloître, toujours en partant sur la gauche, d'un pas lent et en silence. Apposer la paume sur l'écorce d'un arbre choisi et lui souhaiter le bonjour comme à un ami. Ecouter, en ce jour anniversaire de sa mort, un disque d'opéra, en italien, où le chanteur à la voix magique entonne Core n'grato. Etre avec elle.

4/ Alimenter son paysage intérieur d'images mentales, de visions évoquées entre les pages de livres aimés, au cours de songes les yeux clos, ou regardant défiler des images sur des écrans. Laisser se perdre l'esprit, divaguer dans un bel aujourd'hui, et faire collection de ces silences, de ces murmures attentivement écoutés et des gestes induits par ces ajours. Colliger le tout dans une feuille d'acanthe enrobée de petites branches de lichens.

5/ Entre la nuit et le jour, guetter les lueurs qui renaissent. Les lampes qui, petit à petit, s'éteignent. Quelques branches qui frémissent au cœur des arbustes, le passage d'un merle, d'une pie ou d'une mésange en quête de nourriture. Un piéton avance avec prudence afin de ne pas glisser sur la rue verglacée. Une voiture se gare devant l'entrée. L'arrivée d'une petite fille souriante dans les bras de sa maman.

6/ Au milieu des choses encore un peu encrées sur les feuilles manuscrites, on retrouve parfois les lieux où cela fut inscrit. Telle marche d'escalier face au jardin d'enfance, tel petit coin déniché au sein d'une maison de vacances où parvenir à s'exiler, tel fauteuil en rotin devant une bonne flambée... Là, s'allumaient les mots, les phrases que l'on s'imaginerait inoubliables, pensées éparses d'un jour qui sans eux n'aurait pas existé.

7/ Cela ne pouvait durer qu'un instant, ou bien quelques minutes. Se tenir sur le seuil. Répondre à l'invitation du dehors. S'interroger sur le côté de la balade à emprunter. Partir sur la gauche signifierait rencontrer des gens, avoir à parler, partir sur la droite au risque d'avoir à affronter les chiens menaçants de la ferme d'en haut, ou se diriger vers le chemin d'en-bas, celui sans embûches et toujours fidèle. C'est ainsi pour les livres. Sur quel rayon de la bibliothèque se servir. Laisser faire le hasard, laisser courir les doigts sur des couvertures et hop prendre celui dont on ne sait rien mais dont on ressent l'appel. Ou bien rester sur des valeurs sûres, près des auteurs reconnus et plonger dans quelque relecture dont renaissent des saveurs oubliées. Marcher sur le chemin d'en-bas, le livre élu dans le sac.

1 commentaire:

Estourelle a dit…

Marcher et lire et se souvenir - regarder les objets - la nature - ricocher dessus - it's faire de la poésie...comme tu le fais...