Those are white words, said Susan, like stones one picks up by the seashore.
( Virginia Woolf The waves)
Ces mots-là sont blancs, dit Susan, comme les galets qu’on ramasse en bord de mer.
Et cela s’écrit malgré moi, avec moi et sans moi. Il ne se passe presque rien, et ce rien devient quelque chose qui grandit, pousse les murs de toute part, élargit l’horizon, se déploie sans savoir vraiment ce qui se trame. Les mots étalent leurs troubles et se laissent se dissoudre au milieu d’autres, ils s’accrochent les uns aux autres tels ces grappes de lichens sur les troncs d’arbres, laissant circuler entre leurs thalles un air de rien, une sorte de canevas nébuleux. Au premier regard on ne voit que des traces grises sans grand attrait, qui ne font pas encore miroir. Il y a quelque chose qui naît, encore un peu brouillon, quelques ratures ici ou là semblent montrer qu’un travail est en cours, que certains mots sont refusés et ne feront pas partie de cette forme informe qui est en train de croître. Il leur faudra un peu d’air, de lumière et de salive. Au fur et à mesure de ce qui s’écrit, cela se colore insidieusement. Parfois, les mots prennent de l’ampleur, de la force, une sorte de présence, un éclat soudain et l’on sent que quelque chose se dit dans ce qui s’écrit. Cela écorche encore un peu les oreilles et il faut jouer de patience, laisser reposer, griffer, dégriffer, reposer, augmenter, émonder, dresser cette incertitude de ce qui cherche à s’écrire. Toutes ces petites traces qui affleurent au fil de la plume puis au son du clapotis du clavier sont encore celles d’une écriture secrète qui ose ses premiers pas avec timidité.
Mes mains sont dans un geste d’écriture, mes doigts ont laissé tomber le stylo et le papier, et se déploient sur les touches du clavier à une vitesse raisonnable, et tout comme avec le stylo, les lettres parfois se mélangent ne respectent pas l’ordre original, surtout sur la fin du mot, même si, elles sont toutes là dans ce très léger désordre qui permet malgré tout la lecture, et signifie juste qu’il me faut davantage d’attention, et que tous les adverbes qui finissent par ment ont besoin de leur e dans leur dernière syllabe…. Les doigts se déhanchent, cherchent à enserrer ce qui naît, dont ne sait où, et qui s’installe dans des images, ou bien ce sont des images qui tentent de trouver leur place au sein des mots. Tout cela se tricote en un va et vient continu. Parfois une évidence, parfois un désarroi. Souvent un plaisir simple. Les mains, les yeux, tout s’emmêle. Les galets s’amoncellent. Le geste est serein au sein de cette pièce close où tout appelle à se concentrer sur cet essentiel.
à suivre
(Ce texte "Les mots blancs", dont voici le début, fait partie d'une série – en cours d'écriture – de proses écrites en écho à des phrases lues, parfois juste quelques mots, dans le recueil Les vagues de Virginia Woolf. Il a été publié dans une revue en ligne qui s'appelait Dire au sein du groupe Tiers-Livre dirigé par François Bon.
Ce sont toujours mes divagations en écho à l'univers de Virginia Woolf et plus précisément Les vagues .)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire