Le regard se lève de l’écran, se tourne légèrement vers la fenêtre, de cet au-delà, d’où le chant du merle s’est fait entendre. Les yeux, vides ou blancs, ne savent plus très bien ce qu’ils voient. Se sentent au bord. Au seuil de l’image du dehors. Apaiser son regard rivé à l’écran d’ordinateur, pour renouer avec le bleu et le vert, ou peut-être se laisser happer par ses attraits. Un corbeau raye l’azur ou la grisaille d’un ciel dont on ne sait plus rien, une mésange, tête en bas, se saisit de quelques délices sur le bouleau, et plus loin la vie roule en train, en voiture ou à vélo. Le monde est toujours là bien présent, dont on avait oublié la réalité. Ces copeaux d’ailleurs, selon les jours, se lisent comme une bouffée d’air ou l’appel à tout laisser en rade. Un oiseau chante toujours la même mélodie et au loin un autre semble lui répondre ; la fenêtre est ouverte maintenant, car il faut parfois succomber au dehors et je cherche à mettre des mots sur ces mélodies qui s’entrecroisent. Puis cela s’interrompt, une voiture passe sur la rue, il faut revenir vers soi, refermer la tentation de la fuite, se tenir à l’intérieur, calfeutrée derrière la fenêtre de l’ailleurs.
Eh bien, je crois que pour écrire ou pour n’importe quoi vous devez être capable de vous recroqueviller en boule avant de frapper les gens en pleine figure* .
Sur
ce qu’on
nomme page blanche, les mots blancs, petit à petit, s’essaient à
la couleur, d’abord d’un ton un peu pastel, irrigués du sens
qu’ils ont eu lorsqu’ils étaient déjà posés ailleurs, qui
font réminiscence, qui conservent cette écume de survie ou
d’éternité. Ils restaient en hibernation, et viennent de se
réveiller et de repousser le silence. On se prend à rêver alors de
coulées de lave incandescente, dévastant tout sur son passage et
reconstituant un sol singulier où se mettrait à croître une
végétation insoupçonnée. Comme le lichen, les mots s’incrustent
dans le substrat, libérant une manne nouvelle. Des nuances se font
jour, une demi-teinte se met en place. Des tons d’amande ou
d’absinthe, parfois même céladon, aigue-marine, ardoise, bleuet
ou peut-être lavande, champagne, flave ou paille, allant jusqu’au
vénitien, capucine, grenadine, nacarat ou rubescent… À ce stade,
rien ne se sait encore, rien n’est sûr, tout peut basculer à tout
moment. Une métamorphose lente se trame mais rien ne va de soi. Je
voudrais bien que les mots galopent mais ils ne font que tituber sur
l’écran d’ordinateur, je reviens en arrière, efface un mot trop
faible, cherche un vocable qui sonne et se marie avec plus de panache
à celui d’avant ou celui d’après. Et demain peut-être tout
sera à recommencer…
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