J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

jeudi 8 mai 2025

Divagations /26 / Les mots blancs /5


 

La sonnerie du téléphone retentit, on voudrait ne pas répondre, mais le nom qui s’affiche est reconnu, alors on glisse le doigt de la gauche vers la droite sur l’écran et on répond. Si l’interlocuteur dit je ne te dérange pas, on s’entend répondre non, tout va bien, alors que dans la réalité, bien sûr qu’il me dérange, qu’il me fait revenir dans le monde où je n’étais plus, et que si la conversation dure un peu, je n’aurai plus l’énergie ou le désir de revenir à l’écriture. La patience ou la volonté se construisent au fil du temps, mais peuvent aussi être anéanties en quelques secondes, parce que le mental ne suit pas. Je vais peut-être tout laisser tomber, refermer l’écran d’ordinateur et me perdre, fuir dans une activité qui elle, est sûrement utile. Écrivant ces mots, je sens même la pensée de l’à quoi bon remonter à la surface, envahir mes neurones et me voilà prête à tout envoyer à la poubelle, à repousser l’ordinateur ou à surfer sur les pages variées et chronophages d’internet, à fuir ce qui est en train de s’écrire. Et tiens, je vais aller me préparer une tasse de thé, profiter de mon passage en cuisine, pour laver la vaisselle sale qui patiente dans l’évier, donner un coup de balai, passer une éponge sur le plan de travail, aérer la chambre aussi car j’ai oublié, faire le lit… Je pose la tasse de thé sur le bureau, il est un peu chaud, fixe l’écran d’ordinateur, relis ce que mes doigts ont tapé et inscrit, me dis que c’est pas si mal finalement, que peut-être je tiens quelque chose d’intéressant, ou tout au moins qui m’intéresse, qu’il faudra relire demain, je corrige quelques fautes de frappe, rajoute une virgule, note sur un carnet tout près ce qu’il faudrait creuser, mettre au clair. Mais là je ne peux rien de plus, je me suis extraite de la matière des mots, j’ai lâché le fil qui les relie entre eux, avec moi.

Je suis ainsi faite que rien n’est réel si je ne l’écris.*

 

* Cité par Quentin Bell dans Virginia Woolf Biographie t2

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