Mais je crois que si ce que j’écris ici est un monde que je découvre en partie en le rêvant, je ne l’invente pas tout à fait : je le reconstruis pièce à pièce, comme une machine d’un autre temps dont on découvre que le mécanisme a pourtant fonctionné un jour et qu’il suffit de le remonter pour qu’il puisse redémarrer. ( P 45)
Maintenant, justement, j’ai l’impression de tout voir ; je pressens une réalité à peine plus palpable qu’un souffle d’air, mais pas moins présente que lorsque celui-ci s’insinue dans vos vêtements ; une réalité qui s’est tissée en moi presque à mon insu, chaque fil la composant étant constitué d’un matériau vivace, la mémoire de voix que j’ai entendues, des voix de femmes portant dans leur propre mémoire la voix des femmes qui les avaient précédées.(p 45)
C’est parce que je ne sais rien ou presque rien de mon histoire familiale que j’ai besoin d’en écrire une sur mesure, à partir de faits vérifiés, de gens ayant existé, mais dont les histoires sont tellement lacunaires et impossibles à reconstituer qu’il faut créer un monde dans lequel, même fictif, ils auront chacun eu une existence. C’est cette réalité qui se dessine qui deviendra la seule, même si elle est fausse, car la réalité vécue s’est dissoute et n’a aucune raison de nous revenir ; le récit que j’en fais est comme une ombre déformée trahissant la présence d’une histoire dont je capte seulement l’écho, la vibration dans l’image tremblante d’une fiction et d’un roman possible. (p 616)
Laurent Mauvignier " La maison vide" ( Les Éditions de Minuit 2025)

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