J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 29 juillet 2009

L'emprise



Ce silence très grand, cette immobilité qui finit par inquiéter. Ce moment où le temps parait suspendu, la matière même de l'air plus sourde, plus épaisse, étouffant les bruits et les couleurs, et dans tout ce gris, ce calme soudain, on se rend compte qu'on attend d'une vieille, immémoriale attente, qu'on a peur de cette peur là, archaïque, paysanne qu'on reconnaît pour l'avoir soupçonnée, humée autour de soi dans ces campagnes où le soir on s'attardait, où dans la lumière des lampes on entendait ces choses si redoutables qu'elles devaient être murmurées, et d'une voix si triste et lasse parfois qu'on comprenait bien que ce n'était pas du bonheur qu'il était question, non ça n'était pas du bonheur. On pense à ces choses là dont on se souvient comme si on les avait toujours connues, au vieil héritage, à la somme de jours d'hivers et de pluies où depuis si longtemps sous le ciel bas s'attendait et se guettait ce qui arrivait, ne pouvait qu'arriver. Il y a les jours comme ça où l'on retourne sur ses pas. On retrouve les vieux tourments, les vieilles peurs. On se dit que d'un instant l'autre tout peut basculer autour de soi, que le jour qui vient, le matin où l'on ouvrira les yeux dans ce jour qui vient, plus rien peut être ne sera comme avant. Il y a des jours, des matins où l'on voit les choses s'achever, disparaître, c'est ce que je veux dire, et alors on est là démuni dans l'épreuve, la tristesse.

Michèle Desbordes "L'emprise" (Verdier)

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