J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

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samedi 30 août 2025

Divagations/ 32

 

 

de mon étrange relation avec Virginia

J’ai enfin visualisé un DVD emprunté à la médiathèque, au début de l’été qui s’intitule simplement Virginia Woolf 1881-1942. C’est une vidéo de 45 minutes réalisée par Dominique Brard, datant de 1999. Il fait partie de la série Un siècle d’écrivains. Je n’ai pas appris grand-chose de nouveau, mais il y a des photos, ou de courts morceaux filmés,lors de l’enterrement de la reine Victoria notamment, qui donnent à penser l’époque et ses contraintes. J’ai pris quelques notes de phrases entendues, issues de textes de Virginia ou des propos de la réalisatrice qui m’ont accrochée. C’est une manière de « lire » et conserver des bribes d’une vidéo :

Mrs Dalloway dans le flux et le reflux des rues

Septimus, dans Mrs Dalloway, se suicide ( c’est l’unique »fou » chez Virginia : il voyait les gens inventer des mensonges. Le nom de Septimus en lien avec la position de Virginia dans sa fratrie ( septième) ?

le père de Virginia pratique « l’art du possible » ; c’est un esprit insatisfait et tyrannique

voir sans être vu

un corps comme suspendu

La maison de Hindead House où va la famille après la mort de la mère ( vacances?)

« les yeux voilés, les ailes figées »

la réalisatrice parle de violation spirituelle

le premier roman de Virginia La traversée des apparences est un roman sur le silence, sur ce que les gens ne disent pas

le non récit ou un poème aveugle ( période de folie)

toute chose figée est remise dans le mouvement de la métamorphose

Les Vagues : un livre presque abstrait ; enfance immortelle, puissante, fragile ; vouloir se libérer des chaînes de la personnalité

le livre est le lieu possible de l’échange ; l’emploi du je a disparu

Notes brouillonnes, certes, mais manière de garder traces de ce que j’ai vu. Il y a aussi des entretiens avec Angelica Garnett, la fille de Vanessa, sœur de Virginia, qui évoque sa tante. De nombreuses photos aussi que je ne connaissais pas. 

Ne pas interrompre le lien tissé avec cette écrivaine. Manière de vivre.

à suivre 

 

mardi 26 août 2025

Journal d'un écrivain/ 18

 

Lundi 27 octobre 1930

Comme ma chambre est inconfortable et peu commode : une table où s’entassent les papiers, etc. Me voilà de nouveau attelée aux Vagues, et j’ai environ une heure et demie devant moi : un peu de temps pour Dante ; un peu de temps pour des manuscrits, et un peu de temps ici, avec une autre plume.

Virginia Woolf "Journal intégral 1915-1941" ( traduit par Colette-Marie Huet et Marie-Ange Dutartre)

Cette notification n'a pas été retenue dans le Journal d'un écrivain 

dimanche 20 juillet 2025

Journal d'un écrivain/ 17

 Mercredi 20 août 1930

 Les Vagues se réduisent, je crois (j’en suis à la page 100), à une série de soliloques dramatiques. Ce qu’il faut, c’est donner plus d’homogénéité aux entrées et aux sorties, comme un rythme de vagues. Cela peut-il se lire d’une traite ? Je n’en sais rien. Je crois que c’est l’occasion la plus providentielle qui m’ait jamais été offerte, et par conséquent, j’imagine, le plus grand échec. Cependant je me respecte pour avoir écrit ce livre, oui, même s’il révèle tous mes défauts habituels.

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain " traduction Germaine Beaumont

vendredi 18 juillet 2025

Divagations /31

 


Aimer faire des listes. Chaque matin, sur une page volante d’un bloc de bureau de l’année précédente et donc obsolète, noter la liste de choses à faire pour ce jour, par de petits tirets les uns sous les autres. Barrer au stylo rouge, ce qui a été accompli au fur et à mesure. Cela va du courrier auquel répondre à l’écriture quotidienne de mes Ricochets, aux participations à un atelier d’écriture en ligne ( écouter la proposition d’écriture puis écrire puis publier sur le blog commun), la préparation de mes propres ateliers d’écriture, en passant par le repassage, la lecture d’articles sur le net, l’écoute de podcasts d’émissions en retard, et chaque jour noter Divagations sur la liste. Rester en lien permanent avec l’univers de Virginia Woolf. Aujourd’hui, mon travail concernant les Divagations sera de faire la liste ( et oui encore une liste!) des ouvrages qui sont en attente de lecture autour de VW.

VW : Journal

VW : Orlando

VW Promenades européennes ( livre emprunté pour l’été à la médiathèque municipale)

VW : Correspondance avec Lytton Stratchey ( médiathèque)

Jean Guiguet : Virginia Woolf et son œuvre ( médiathèque)

Maria Santoos-Sainz : Virginia Woolf, journaliste

Pietro Citati : Sur le roman ( numérique)

Angelica Garnett : Vérités non dites ( numérique)

Henriette Levillain : Carte d’identité ( numérique)

Préfaces des Pléiades consacrées à VW

Je ne lirai pas tout cela, mais aurai la possibilité de piocher çà et là une nourriture pour l’été.

Travailler encore au cœur de cette écriture. Et sentir aussi que l’on aimerait relire les livres déjà lus ( trop vite sans doute). Aller voir également les ressources de pages Facebook consacrées à VW. Jouer à l’écureuil et emmagasiner tout se qui touche à elle. La vie se colore différemment ainsi. Les « moments de vision » du réel se font autres.

Lisant les premières pages du l’étude de Jean Guiguet, qui commence par faire mention de tous les livres qui ont été consacrés à VW ( et ce livre date de 1962…), j’ai conscience que ma quête ne sera jamais close ! Pour chaque étude relatée, il en donne les points forts et ses points faibles.

L'esprit reçoit une infinité d'impressions, insignifiantes, fantastiques, fugitives ou gravées avec le mordant de l'acier. De toutes parts elles viennent, pluie incessante d'innombrables atomes; et à mesure qu'elles tombent, s'agrègent pour façonner la vie de lundi ou de mardi, l'accent porte sur un point qui n'est pas celui où il portait jadis... La vie est un halo lumineux, une enveloppe translucide nous entourant depuis les débuts de la conscience jusqu'à la fin. (extrait de The common reader cité par Jean Guiguet)

jeudi 10 juillet 2025

Journal d'un écrivain/ 16

 

Mardi 29 avril 1930

Et je viens juste de terminer, avec ce dernier trait de plume, la dernière phrase des Vagues. Il me semble qu’il fallait que je note cela pour ma propre information. Oui, cela a été le plus grand effort intellectuel que j’aie jamais fourni ; du moins, les dernières pages. Je n’ai pas l’impression qu’elles retombent comme d’habitude. Et je crois m’en être tenue avec une rigueur ascétique à mon plan initial. C’est là le meilleur compliment que je puisse m’adresser. Mais je n’ai jamais écrit un livre si plein de trous et de morceaux. Cela demandera une reconstruction, oui, et pas seulement une remise en forme. Je crains que la construction ne soit mauvaise. Tant pis. J’aurais pu me contenter de quelque chose de facile et de coulant. Mais ce que j’ai fait marque un effort pour atteindre cette vision que j’ai eue à Rodmell durant ce malheureux été, ou pendant les trois semaines qui ont suivi La Promenade au phare. (Et cela me rappelle que je dois trouver en toute hâte une nouvelle provende pour mon esprit, sinon il va se remettre à picorer misérablement. Quelque chose d’imaginatif et de léger, si possible, car après les premiers moments de soulagement divin, je vais me fatiguer d’Hazlitt et de la critique ; et je prends agréablement conscience de tout ce qui s’ébauche à l’arrière-plan de mon cerveau. Une vie de Duncan ? Non, quelque chose à propos de tableaux illuminant un atelier. Mais cela peut attendre.)

Et je pense en moi-même en marchant le long de Southampton Row : « Voici que je vous ai donné un nouveau livre. »

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" traduction de  Germaine Beaumont



mercredi 2 juillet 2025

La promenade au phare

 




« Oui, bien sûr, s’il fait beau demain, dit Mrs. Ramsay. Mais il faudra vous lever à l’aurore », ajouta-t-elle.

Ces paroles causèrent à son fils une joie extraordinaire. Pour lui il était désormais entendu que l’excursion se ferait sûrement et que la merveille contemplée depuis des années et des années, semblait-il, se trouvait maintenant à portée de sa main, qu’il n’en était plus séparé que par une nuit de ténèbres et une journée de navigation.Comme il appartenait, à l’âge de six ans déjà, à la grande famille des êtres incapables de séparer leurs sentiments les uns des autres et d’empêcher la perspective de l’avenir, avec tout ce qu’elle contient de joies et de peines, d’obscurcir la réalité présente ; comme pour ces êtres, si petits qu’ils soient, le tour le plus léger de la roue des sensations a la faculté de cristalliser, de transpercer et de fixer le moment sur lequel il a posé son ombre ou sa lumière, James Ramsay, assis sur le plancher et en train de découper des images dans le catalogue illustré des « Army and Navy Stores » attribuait à celle d’un appareil frigorifique, pendant que parlait sa mère, un caractère de divine félicité. Cet appareil était auréolé de joie. La brouette, la tondeuse de gazon, le bruissement des peupliers, le blanchiment des feuilles avant la pluie, le croassement des corneilles, les balais heurtant les murs, le froufrou des robes – chacune de ces sensations avait dans son esprit une couleur si nette, un aspect si distinct, qu’il possédait déjà son code particulier, son langage secret. Il apparaissait cependant comme l’image de la sévérité inflexible et sans mélange avec son front haut, ses farouches yeux bleus d’une pureté et d’une candeur impeccables, ses légers froncements de sourcils devant le spectacle de la fragilité humaine, et cela au point que sa mère, en le regardant guider adroitement ses ciseaux autour du frigorifique, l’imaginait assis sur un fauteuil de juge, tout en rouge et en hermine, ou en train de diriger quelque grave et formidable entreprise dans une heure critique du gouvernement de son pays.

« Mais, dit son père en s’arrêtant devant la fenêtre du salon, il ne fera pas beau. »

Si James avait eu à sa portée une hache, un tisonnier ou toute autre arme susceptible de fendre la poitrine de son père et de le tuer sur place, là, d’un seul coup, il s’en serait emparé. Telles, et aussi extrêmes, étaient les émotions que Mr. Ramsay faisait naître dans le cœur de ses enfants par sa seule présence lorsqu’il se tenait devant eux, à sa façon présente, maigre comme un couteau, étroit comme une lame, avec le sourire sarcastique que provoquaient en lui non seulement le plaisir de désillusionner son fils et de ridiculiser sa femme, pourtant dix mille fois supérieure à lui en tous points (aux yeux de James), mais encore la vanité secrète tirée de la rectitude de son propre jugement. Ce qu’il disait était la vérité. C’était toujours la vérité. Il était incapable de ne pas dire la vérité ; il n’altérait jamais un fait, ne modifiait jamais un mot désagréable pour la commodité ou l’agrément d’âme qui vive, ni surtout de ses propres enfants, chair de sa chair et tenus en conséquence à savoir le plus tôt possible que la vie est difficile, que les faits ne souffrent point de compromis et que le passage au pays fabuleux où nos plus brillants espoirs s’évanouissent, où nos barques fragiles s’engloutissent dans les ténèbres (arrivé à ce point Mr. Ramsay se redressait et fixait l’horizon en rétrécissant ses petits yeux bleus) représente une épreuve qui demande avant tout du courage, de la sincérité et de l’endurance.

Virginia Woolf "La promenade au phare" traduit par M. Lanoire 

dimanche 22 juin 2025

Journal d'un écrivain/ 15

 

Mercredi 23 avril

Voici une matinée très importante dans l’histoire des Vagues, parce que je crois avoir passé le cap difficile, et que je vois la dernière partie droit devant moi. Je crois que j’ai enfin intégré Bernard dans le mouvement final. Il va aller tout droit maintenant, puis il se tiendra devant la porte, et ce sera alors la dernière vision des Vagues. Nous sommes à Rodmell et j’y resterai probablement encore un jour ou deux (si je l’ose) afin de ne pas briser mon élan et d’en finir. Et puis, ô mon Dieu, du repos, et puis un article, et un nouveau retour vers ce hideux labeur qui consiste à façonner et à modeler. Après tout, cela comporte peut-être en soi quelques joies.

 

Virginia Woolf " Journal d'un écrivain" traduction de Germaine Beaumont 

vendredi 20 juin 2025

Divagations/ 30

 


Des connivences se sont installées. Un échange avec Christine Jeanney, dont le Journal de bord des Vagues m’a tellement apporté et aidé dans mon immersion dans ce livre, se produit de temps à autre. Là, c’est à propos de sa traduction de la nouvelle de Virginia Woolf Kew Gardens, que nous correspondons. Après sa traduction, que j’ai suivie sur son site Tentatives, Christine qui est aussi plasticienne a réalisé un livret format flutter ( terme qui m’était inconnu!). Elle le présente ainsi :

« le livret Kg ressemble à un leporello, mais le leporello est d’ordinaire une longue bande de papier ou de cartonnette pliée sans qu’il y ait collage entre chaque page
le
livret Kg est un Flutter book, "flutter" signifiant en anglais palpiter, battre des ailes (ce qui rappelle le vol erratique des papillons de Kew gardens) » . Elle parle d’un texte devenu objet à façonner. Elle décrit également toute la méthode pour le fabriquer soi-même. Mes compétences manuelles étant nulles j’ai préféré lui demander un exemplaire tout prêt qu’elle m’a fait parvenir avec beaucoup de gentillesse. J’aime bien cette nouvelle, je prends d’ailleurs beaucoup de plaisir à lire ou relire les nouvelles de VW. Dans celle-ci, publiée en 1919, on retrouve la technique de narration liée au flux de conscience. La narratrice sillonne les allées du jardin de Londres, Kew gardens, près duquel Virginia a vécu dans sa jeunesse, et offre au lecteur des évocations de passants qui traversent les lieux ou se penche sur la vie des plantes ou animales que l’on peut y rencontrer. On se demande si ce n’est pas le jardin lui-même qui nous parle . Des promeneurs échangent des propos, une histoire pourrait commencer à s’écrire, mais ce sont d’autres personnages qui prennent le devant de la scène ou un escargot ! Nous traversons un tableau impressionniste, écoutons quelques voix, nous réfugions au cœur des plantes. Lire cette nouvelle à la vitesse de l’escargot...

À la fin de sa traduction et du journal de celle-ci, que Christine Jeanney nous offre, elle note ceci :

je fais toujours dans mon esprit le rapprochement entre la nouvelle Kew gardens et une boule à neige
un globe parfait que VW a retourné pour faire apparaître les petits reflets argentés qui dormaient au fond, et qui flottent quand elle écrit cet espace réduit qui est le nôtre, notre petit globe de monde, avec ses folies comme des cicatrices mal refermées, ses incompréhensions, les amours passés et futurs, ses épiphanies, ses guerres terribles et minuscules, son chatoiement, ses couleurs et ses formes offertes comme ça, pour rien, gratuitement, dans lesquelles les humains baignent sans s’en rendre compte
quelque chose de grave, terrible, tranquille
un "tout à la fois" complètement beau


 

jeudi 12 juin 2025

Journal d'un écrivain / 14

 

Dimanche 13 avril 1930  :

Dès que je m’arrête d’écrire, je lis Shakespeare, pendant que j’ai l’esprit encore bouillant et grand ouvert. C’est dans ces moments-là qu’il me paraît stupéfiant. Je n’ai jamais encore mieux compris sa prodigieuse envergure, son élan, sa maîtrise verbale, que quand je me sens dépassée et surpassée par lui. Le départ semble à égalité, et puis je le vois prendre de la vitesse et faire des choses que, dans mon exaltation la plus folle et ma plus forte pression cérébrale, je n’arrive pas à imaginer. Même les moins connues de ses pièces sont écrites à une vitesse qui bat tous les records. Et les mots tombent à une telle cadence qu’on n’arrive pas à les ramasser. Voyez, par exemple : « Sur ce lis à peine cueilli, presque fané… » (C’est par pur hasard que je tombe sur ces mots.) Évidemment, la souplesse de son esprit était telle qu’il pouvait lancer n’importe quelle flèche de pensée, ou bien semer négligemment une pluie de fleurs. Pourquoi écrit-on ? C’est qu’il ne s’agit pas là d’écriture. Je dirais même que Shakespeare est au-delà de toute littérature, si je pouvais expliquer ce que j’entends par là. 

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" traduction de Germaine Beaumont 

dimanche 8 juin 2025

Divagations/ 29

 


Je reprends mes réflexions autour de ma relation à Virginia Woolf, car il me semble bien que je n’en ai pas terminé, et je pense aussi que je n’ai pas le désir que cela cesse. De nouveaux livres s’achètent, se feuillettent, se lisent, des émissions s’écoutent, des films se regardent, toujours en lien avec elle. Furetant entre les rayons des librairies au mois de février dernier la couverture vert amande d’un livre, intitulé Virginia Woolf journaliste, sous-titrée L’histoire méconnue d’une émancipation par le journalisme de Maria Santoz-Sainz, attire le regard ; je l’achète aussitôt. Cette facette m’est moins familière et donc j’aurai sans doute encore à apprendre sur cette autrice Je ne l’ai pas encore lu, de même que Flush, pourtant depuis septembre sur la pile de livres à lire. Au mois de mars, c’est la couverture de la revue Lire qui inscrit son nom en lettres majuscules avec un dossier qui est consacré à Virginia, en spécifiant plus qu’une icône, évoquant aussi une psychologie fragmentée et les femmes de sa vie. Je me laisse séduire, tout comme, quelques jours plus tard par le Woolf bref et percutant d’Adèle Cassigneul, que je dévorerai, lui, instantanément. Le vert semble être à la mode cette année car la couverture est également de cette couleur, un vert plus foncé que pour l’ouvrage précédent, avec les cinq lettres du titre en blanc et dessous son visage de profil. Un livre intéressant, de par sa forme, de par son écriture, de par son assise dans le féminisme clairement affirmé, un livre que j’ai beaucoup souligné, à la bibliographie riche où je suis allée me promener avec envie ( beaucoup de références en anglais). Un livre qui sort des sentiers battus. J’y reviendrai. 

Chez mon libraire favori, j’ai aussi commandé au mois d’avril Virginia Woolf, la flâneuse de Rodmell de Christian Soleil, qui a écrit plusieurs livres autour de Virginia, de sa sœur, de Bloomsbury. J’ai visionné aussi le film Vita et Virginia et lu le livre de Christine Orban ensuite.. Lu également un livre, emprunté à la bibliothèque de Angelica Garnett, la nièce de Virginia, : Les deux cœurs de Bloomsbury qui évoque la vie de ses parents et bien sûr la relation entre sa mère Vanessa et Virginia. J’ai écouté aussi un podcast autour de Mrs Dalloway, qui vient d’être réédité dans la Pléiade (qui me sera offert !). Donc toujours une forte présence sur mes épaules et en esprit, même si je n’ai pas encore tout lu de mes acquisitions. Virginia est là en permanence sur mon bureau, toujours à portée de main. Sans oublier son Journal que je lis à petites doses mais avec régularité. En somme quelqu’un qui veille un peu sur moi..

.Étrangement, durant cette même période, pour le besoin d’un atelier d’écriture que j’anime, je me penche aussi beaucoup sur Emily Dickinson et enchaîne des lectures autour de cette autrice. Je relis les deux livres de Dominique Fortier Les villes de papier et Les ombres blanches, Chambre avec vue sur l’éternité de Claire Malroux et découvre La vie singulière de Thomas Higginson de Christian Garcin qui évoque son lien avec Emily Dickinson. Je revisionne aussi le film A quiet passion. Il m’arrive, à force d’errer entre leurs vies, d’emmêler leurs deux visages. Deux autrices qui me traversent et travaillent en moi. Deux femmes qui se tiennent près de moi. Deux fantômes qui me hantent, avec qui je dialogue.

mercredi 4 juin 2025

Journal d'un écrivain/ 13

 

Mercredi 9 avril 1930

Ce que je crois maintenant (à propos des Vagues), c’est que je puis donner en très peu de touches l’essentiel du caractère d’un personnage. Ce devrait être fait hardiment, presque comme une caricature. J’ai pénétré hier dans ce qui pourrait être la dernière partie. De même que pour chaque épisode du livre, cela procède par sauts et par bonds. Je ne peux jamais m’en détacher, mais me sens tirée en arrière. J’espère que le résultat sera consistant et je dois faire attention à mes phrases. L’abandon du style d’Orlando et de La Promenade au phare se trouve bridé par l’extrême difficulté de la forme, comme dans La Chambre de Jacob. Je crois que c’est ce que j’ai le plus développé jusqu’ici, mais bien entendu cela peut, par endroits, faire long feu. Je pense aussi m’en être tenue, stoïquement, à ma conception originale. Ce que je redoute, c’est qu’en récrivant il me faille aller si loin que je ne finisse, d’une manière ou d’une autre, par tout embrouiller. L’imperfection est à peu près inévitable, mais il se pourrait bien que j’aie réussi à dresser mes statues contre le ciel. 

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" traduction Germaine Beaumont 

mercredi 28 mai 2025

Journal d'un écrivain/ 12

 

Vendredi 28 mars 1930

Ce livre est décidément une très curieuse affaire. Il m’a fait vivre une journée d’enivrement dont j’ai pu dire : « La naissance d’un enfant n’est rien à côté. » Et quand je m’installai pour l’embrasser dans son ensemble et me disputai avec L. au sujet d’Ethel Smyth ; et dissipé la querelle en promenade ; et perçu la pression de la forme, sa splendeur, sa grandeur, comme jamais encore, peut-être, je ne l’avais ressenti. Mais je ne m’en débarrasserai pas par l’exaltation. Je continue à creuser et je m’aperçois que c’est le plus difficile, le plus complexe de tous mes livres. Comment le terminer sinon par une énorme conversation au cours de laquelle chaque vie élèvera sa voix ? Une mosaïque, je ne sais pas. La difficulté vient de ce que tout est à haute tension. Je n’ai pas encore mis au point la voix qui parle, mais je crois qu’il y a quelque chose là, et je me propose de continuer à piocher à fond, laborieusement, et puis de récrire le tout en lisant de longs fragments à haute voix, comme des poèmes. Cela peut supporter des développements, car c’est, je crois, très comprimé. Quoi que j’en puisse faire, c’est un thème large et puissant, qu’Orlando n’était peut-être pas. En tout cas, j’ai sauté la barrière.

Virginia Woolf " Journal d'un écrivain" ( traduction Germaine Beaumont)

samedi 24 mai 2025

Divagations/ 28/ Les mots blancs / 7

 


Comment considérer ces hasards qui nous mettent un jour en lien, à l’improviste, avec un peintre, un artiste, inconnu jusque là, et dont la vision du travail bouleverse et ramène au plus secret de soi… Comment ce trait de pinceau, rayant en douceur tous les tableaux, continue, avec une étrange obstination, de faire son œuvre et s’évertue à colliger tout ce qui s’éparpille de soi au fil des ans...Ralentir ce qui fuit. Rester entre des lignes, des mots. S’accrocher à ce désir-plaisir libéré par les mots, ceux que je lis d’abord dans ces livres qui me sortent de l’inertie, produisent un trouble, déstabilisent un peu, ouvrent une nouvelle fenêtre, tracent une connexion et rechargent la chair de l’esprit. Être à la recherche de cette chorégraphie des mots quand cela s’écrit enfin, ce mouvement d’effleurement qui se produit, et qui emporte plus loin, là où l’on ne savait pas que l’on se dirigeait, au travers de toutes les ombres qui nous recouvrent, dans une très grande étrangeté d’errance. Est-ce de l’invisible qui prend forme alors puisque les mots disent davantage que ce qu’ils semblent dire…Prendre ses aises dans le séjour de la langue, avec une part de démesure dans le plaisir qui se crée, et se sentir appréhender le monde, l’ailleurs, d’une façon différente. Espérer que ce qui s’écrit, non pas tienne, mais se tienne. Avec racines et envol. Les deux. Toujours veiller aux deux. Quelque chose d’éperdu. Comme un arbre peut-être. Qu’il soit grand ou petit, et quel qu’en soit l’espèce. Qu’il produise des fruits ou qu’il soit de simple agrément. J’écris près d’une fenêtre où, à l’arrière-plan, s’élancent des arbres sous un ciel changeant. Et l’arbre tient son cap. Il puise en lui et dans le sol où il se rattache son nécessaire. Je puise dans la langue amoncelée en moi, celle qui m’a édifiée depuis si longtemps désormais. Elle se tient en silence à l’intérieur. Plus les ans s’amoncellent et plus elle a de l’importance. Une langue pleine de carences, d’imperfections, de doutes, de clichés, de banalités, sans doute. Mais je tente de donner une voix à ces mots agglutinés, j’essaie de leur rendre un envol possible, afin de m’inventer à nouveau, avec parfois les lèvres lavées de larmes. Susan et ses mots blancs, et quelques lignes plus loin dans ce même texte de Virginia Woolf, Jinny parle de mots jaunes, de mots de feu. À chacun sa manne de langue. À chacun son souffle. À chacun son pas. Et ne pas oublier de ne pas se déprendre de soi, de ne pas lâcher le fil de ce qui nous relie à nous-même, et ne pas se perdre en cours de route. Ne pas oublier non plus l’arbre, l’envol de ses branches, le mouvement du feuillage sous le vent, la chlorophylle qu’il diffuse, le plaisir qu’il procure lorsque, allongé sous son feuillage où s’emmêlent ombre et lumière, on se laisse emporter par le songe, bercer de lueurs tamisées.

L’écriture serait un peu comme se tenir au bout de soi, au bout de ses doigts avec des étincelles prêtes à pétiller, à s’envoler plus loin, à éclairer quelque peu le tas de haillons où s’écarquillent quelques souvenirs, en un dépli d’ombres, tout au bout d’un chiffon de langue rouge.


L’univers où nous vivons est dépourvu de stabilité. Qui nous dira le sens secret des choses ? Qui peut prévoir la courbe d’un mot, une fois lancé ? *



*Cité par Quentin Bell dans Virginia Woolf Biographie t2


dimanche 18 mai 2025

Journal d'un écrivain /11

 

Lundi 17 mars 1930 : 

 La pierre de touche d’un livre (pour l’auteur) c’est de parvenir à créer un espace dans lequel vous introduisez tout naturellement ce que vous avez à dire. Comme ce matin où j’aurais pu dire ce que dit Rhoda. Cela prouve que le livre en lui-même est vivant parce qu’il n’a pas écrasé la chose que j’avais à dire, mais qu’il m’a permis de la glisser sans la moindre compression ou la moindre altération. 

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain" ( traduction Germaine Beaumont)

vendredi 16 mai 2025

Divagations/ 27 / Les mots blancs/ 6

 

 


Le fil. Celui qui se déroule sur les tableaux de Safet Zec découverts un soir de fatigue à Venise. Furetant dans mon stock de photos sur l’ordinateur, je m’arrête sur celles de l’année 2017, et retrouve très vite toutes celles que j’ai captées des peintures exposées dans l’église Santa Maria della Pietà, sous le terme Exodus, réalisés par le peintre serbo-croate Safet Zec. Je me souviens de ma sidération face à toutes ces œuvres qui m’encerclaient. J’étais entrée là sans savoir ce qui m’attendait. La foule dehors au bord du Canal di San Marco, la chaleur, la fatigue après des heures de marche dans la ville, et cette église avec l’affiche d’une expo en entrée libre. La découverte, pas à pas, de ce qui se donnait à voir et il m’a fallu un peu de temps pour comprendre l’ampleur de ce qui se tenait là sous mes yeux, tous ces corps vêtus de blanc, se serrant les uns contre les autres dans le naufrage de leurs vies, et ce fil rouge traversant tous les tableaux gigantesques qui me toisaient. Je ne vois plus que lui, ce fil comme un ruisseau de lait qui fuit – écriture de sang torsadée qui s’enroule autour des corps étendus de la plante du pied aux manches ou la taille d’un enfant – fil rouge qui relie, accroche le regard de celui qui, hébété, se tient face à ces corps qui enserrent d’autres corps ceux des enfants qu’il faut protéger, rassurer, bercer, revêtus du blanc de l’humanité dans son devenir. Le sillon rouge ruisselle de ce sang de toutes les plaies et s’imprime dans la mémoire. Ne pas lâcher mon fil rouge, celui qui me relie à la petite fille d’il y a si longtemps, ne pas emprunter les chemins qui ne sont pas les miens mais ceux que l’on a voulu me faire prendre, et laisser fulgurer cette langue de vertige.


samedi 10 mai 2025

Journal d'un écrivain/ 10

 

Dimanche 16 février 1930:

 J'ai dû rester étendue sur un sofa pendant toute une semaine. Aujourd'hui, je me relève dans mon état habituel; entrain et lassitude tour à tour, avec des envies d'écrire spasmodiques, puis des somnolences.(...) Mais je ne crois pas que je puisse écrire très efficacement. Un nuage tourne dans ma tête. Je suis trop consciente de mon corps et trop projetée en dehors de mon ornière vitale pour revenir au roman. Une ou deux fois j'ai senti dans ma tête cette bizarre palpitation d'ailes qui me vient si souvent quand je suis malade.(...) Si je pouvais rester au lit encore une quinzaine (mais il y a peu de chance que j'y parvienne), je crois que je pourrais voir Les Vagues dans leur ensemble. À moins que, c'est encore possible, je ne parte dans une tout autre direction. (...) Je crois qu'en ce qui me concerne, ces maladies sont — comment dire — en partie mystiques. Il arrive quelque chose à mon cerveau. Il refuse de continuer à enregistrer des impressions. Il se ferme. Il devient chrysalide. Je reste étendue complètement inerte, souffrant parfois de douleurs physiques aiguës ou de simples malaises. Et puis brusquement un ressort se détend. (...) ( Je passe mon temps à mettre sur pied la scène d'Hampton Court, dans Les Vagues. Dieu ! Je n'arrête pas de me demander si j'arriverai à venir à bout de ce livre. Pour le moment, c'est un fatras de fragments.)

Virginia Woolf Journal d'un écrivain ( traduit par Germaine Beaumont)

jeudi 8 mai 2025

Divagations /26 / Les mots blancs /5


 

La sonnerie du téléphone retentit, on voudrait ne pas répondre, mais le nom qui s’affiche est reconnu, alors on glisse le doigt de la gauche vers la droite sur l’écran et on répond. Si l’interlocuteur dit je ne te dérange pas, on s’entend répondre non, tout va bien, alors que dans la réalité, bien sûr qu’il me dérange, qu’il me fait revenir dans le monde où je n’étais plus, et que si la conversation dure un peu, je n’aurai plus l’énergie ou le désir de revenir à l’écriture. La patience ou la volonté se construisent au fil du temps, mais peuvent aussi être anéanties en quelques secondes, parce que le mental ne suit pas. Je vais peut-être tout laisser tomber, refermer l’écran d’ordinateur et me perdre, fuir dans une activité qui elle, est sûrement utile. Écrivant ces mots, je sens même la pensée de l’à quoi bon remonter à la surface, envahir mes neurones et me voilà prête à tout envoyer à la poubelle, à repousser l’ordinateur ou à surfer sur les pages variées et chronophages d’internet, à fuir ce qui est en train de s’écrire. Et tiens, je vais aller me préparer une tasse de thé, profiter de mon passage en cuisine, pour laver la vaisselle sale qui patiente dans l’évier, donner un coup de balai, passer une éponge sur le plan de travail, aérer la chambre aussi car j’ai oublié, faire le lit… Je pose la tasse de thé sur le bureau, il est un peu chaud, fixe l’écran d’ordinateur, relis ce que mes doigts ont tapé et inscrit, me dis que c’est pas si mal finalement, que peut-être je tiens quelque chose d’intéressant, ou tout au moins qui m’intéresse, qu’il faudra relire demain, je corrige quelques fautes de frappe, rajoute une virgule, note sur un carnet tout près ce qu’il faudrait creuser, mettre au clair. Mais là je ne peux rien de plus, je me suis extraite de la matière des mots, j’ai lâché le fil qui les relie entre eux, avec moi.

Je suis ainsi faite que rien n’est réel si je ne l’écris.*

 

* Cité par Quentin Bell dans Virginia Woolf Biographie t2

vendredi 2 mai 2025

Journal d'un écrivain/ 9

 

Dimanche 26 janvier 1930:

Les Vagues ne se vendront pas à plus de deux mille exemplaires*. Je suis prise à ce livre. Je veux dire que j'y suis engluée comme une mouche à du papier collant. Il m'arrive de perdre le contact, mais je continue quand même, et de nouveau je sens que je suis parvenue à force de volonté et d'audace — comme lorsqu'on fonce à travers les ajoncs — à empoigner le cœur du sujet. Peut-être puis-je maintenant dire les choses directement et tout au long, sans qu'il soit nécessaire de jeter continuellement ma ligne pour donner à mon livre la forme qui lui convient. Mais comment le former, l'accorder, lui donner son unité? Je n'en sais rien, pas plus que je ne sais encore ce que sera la fin: peut-être une gigantesque conversation. Les intermèdes sont très difficiles, et cependant essentiels pour jeter des ponts et fournir une toile de fond: la mer, la nature insensible, que sais-je ? Mais je crois, lorsque je suis emportée dans ce mouvement, que j'ai raison. En tout cas pour l'instant, toute autre forme romanesque ressemble à une répétition.

* 31 octobre 1931, 6500 exemplaires des Vagues, vendus en trois semaines. Mais la vente va s'arrêter maintenant, je suppose ( Note de V W)

Virginia Woolf " Journal d'un écrivain" traduction de Germaine Beaumont



mercredi 30 avril 2025

Divagations / 25 / Les mots blancs / 4

 

Se poser soudain la question de ce qui est premier : le geste de tracer les mots ( stylo ou clavier), ou la pensée qui va se déposer… Pour écrire il faut poser le premier mot — blanc encore — et laisser s’enclencher un déferlement de ce qui fera phrase, puis fragment de quelque chose et texte si tout va bien. Ce qui se détache de l’obscur, dans ce paysage de nuit, dont on ne savait rien, se met à se délivrer, s’animer, trouver une existence. Quelque chose fait halte et s’inscrit à petits pas dans le sable. Et tout est si fragile, si faible, et peut être effacé en quelques secondes. Je reprends de l’énergie dans le souvenir de la fillette, assise à son petit bureau dans la cuisine de là-bas, celle de l’enfance, et par une étrange juxtaposition du temps, je réalise qu’elle était exactement dans la même configuration physique et spatiale qu’aujourd’hui : face à un mur, une demi-cloison pour être exacte qui ne montait pas jusqu’au plafond mais permettait juste une séparation entre ce qu’on nommerait alcôve et la cuisine. Face à ce bureau recouvert d’un placage entre orange et marron, du formica sans doute, une étagère, une simple planche bricolée par mon père où étaient amassés mes trésors d’alors et les quelques livres utiles pour l’école et ceux qui m’avaient été offerts, retenus par des serre-livres en bois en forme d’éléphant. À ma droite une fenêtre très haute, qui était juste plus près du ciel que dans mon bureau actuel, car l’appartement où nous vivions était au troisième étage, et j’ai le souvenir d’hirondelles qui traversaient alors l’azur et leur trissement, mot que je ne connaissais pas, mais qu’aujourd’hui j’éprouve un réel plaisir à écrire. Sur ma gauche, le petit placard vert, comme l’étagère, où je rangeais ce qui m’était personnel, dessins, livres, cahiers, jouets, tout comme aujourd’hui le meuble à quatre tiroirs, sur ma gauche également, dans lequel reposent cahiers, carnets, stylos, dossiers … Je me souviens bien avoir tenté de mettre ce meuble à tiroirs et sur roulettes sur ma droite mais il y avait quelque chose dans cette disposition qui ne me convenait pas. Je comprends mieux pourquoi à l’instant. Je me revois mâchouillant mon crayon ou stylo, les yeux levés vers le plafond en attendant que descende l’inspiration, comme je croyais que cela se faisait, avant de poser mes premiers mots dans un carnet rouge où je m’essayais à jouer à Victor Hugo, ou plus simplement à faire comme mon père qui noircissait, de sa belle écriture penchée, des cahiers ou carnets sur son bureau dans la chambre. Je prends conscience de cette configuration similaire avec étonnement et aussi plaisir: la petite fille que j’étais n’a pas totalement disparu.


dimanche 20 avril 2025

Journal d'un écrivain/ 8

 

Lendemain de Noël 1929 ( Rodmell)

Je trouve qu'une quinzaine de solitude est incroyablement reposante, et que c'est un luxe presque impossible à s'offrir. Nous avons impitoyablement repoussé toutes visites. « Cette fois-ci, nous serons seuls! » avions-nous décidé, et réellement, je commence à y croire. Et puis Annie est très compréhensive. Mon pain cuit bien. Tout serait plutôt enivrant, simple, coulant, efficace, n'étaient mes tâtonnements autour des Vagues. Après beaucoup d'efforts, j'écris deux pages totalement ineptes. J'écris des variantes pour chaque phrase; je fais des compromis, je lance des balles perdues, je tâtonne, et mon manuscrit finit par ressembler à un rêve de fou. Puis je me dis qu'une seconde lecture me donnera de l'inspiration et je rends au texte un peu de sens commun. Mais cela ne me satisfait pas. Je trouve qu'il y manque quelque chose. Je ne fais aucune concession. Je me concentre sur le noyau. Cela m'est égal si tout est raturé. Et je crois qu'il y a quelque chose là. Je suis tentée maintenant par de plus grandes audaces: par Londres; les conversations. Une voie frayée plus impitoyablement. S'il n'en sort rien, j'aurai du moins envisagé les possibilités. Mais j'aurai voulu y prendre plus de plaisir. Cela ne me trotte pas dans la tête toute la journée comme La Promenade au phare ou Orlando.

Virginia Woolf "Journal d'un écrivain " traduction Germaine Beaumont