J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 15 décembre 2010

Eloge du buvard

Aujourd'hui, les encres ne vont pas bien. L'ordinateur et la postmodernité les ont frappées. Les écrivains ne feront plus, dans l'avenir, ces manuscrits mille fois raturés qui nous permettaient de voir le tremblement de la main de Proust, les dédales de sa cervelle, ses redites, ses bêtises, ses appogiatures et ses repentirs.
Dans leur déroute, les encres ont entraîné avec elles un autre partenaire, le buvard. La mort de celui-ci n'a pas été saluée. C'est sans  bruit que les belles feuilles poreuses, roses ou bleues, sur lesquelles furent calligraphiées toutes les minutes et tous les verbatims de nos civilisations modernes ont rejoint leurs limbes. (...) 
...le texte recueilli par le buvard n'est qu'un lambeau, une ombre et une ruine. Il est beau comme une absence. Pas une phrase n'est achevée et les mots sont des loques. Au surplus, les différentes pages d'un même chapitre, peut-être même d'un livre, ont mélangé toutes leurs empreintes. Le buvard nous offre les vestiges inextricables d'un livre qui n'exista jamais, d'un roman fantôme que Balzac ou Hugo ont à peine rêvé. Et pour porter au  comble leur beauté, les lettres y sont écrites à l'envers. Nous ne pouvons les déchiffrer que dans les miroirs de la mort.

Gilles Lapouge "L'encre du voyageur" (Albin Michel 2007)

1 commentaire:

Marie, Pierre a dit…

Non, les encres ne vont pas du tout, j'ai bricolé toute la journée dans mon imprimante avec des cartouches neuves dont on me disait qu'elles étaient vides. J'ai jeté les ponges, les pouges et suis restée à peu près coite. Y a que l'encre de seiche de Béa qui ne sèche pas,et la tienne, maravillosa