J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 14 septembre 2011

Armen 3

J'ai cru sentir  peu à peu que les mots avaient moins d'importance que leurs abords. C'était un premier pas. J'ai retrouvé Pierre Reverdy. Il pousse des mots, des lignes jusqu'au bord du gouffre. Le gouffre est là, de façon très précise, sur la droite de la page, dans le blanc inégal, parfois mince, parfois envahissant. Est-ce que j'ai touché ce bord? J'ai changé, je ne puis encore dire comment.
Je n'oublierai pas ce travail acharné, qui m'a trouvé tour à tour enthousiaste, dépité, inquiet, sanglotant. Je n'aurais jamais cru que l'emploi des mots puisse faire tant de mal. A la fin, toujours les mêmes revenaient, pierre, sel, écume, verre, brume. Je les mettais en présence, je les voyais s'unir ou s'écarter. Ils se figeaient parfois en courtes phrases mornes que je ne pouvais plus modifier, aussi lourdes à remuer que des cadavres. J'étais paralysé pendant des heures. Puis, sans raison, ou peut-être parce que j'avais beaucoup marché sans le savoir, tout s'animait à nouveau.

Jean-Pierre Abraham "Armen"

1 commentaire:

Estourelle a dit…

C'est fort et tellement parlant!