J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 18 janvier 2013

Carnet vénitien

                                      

C'est une ville, ces jours-ci, en brisures de lumières, toute en paillettes. Les longs traits qui la reliaient se rompent en éclats.
Bientôt sous un ciel plus froid, elles se dépouilleront, isolées, ces façades tantôt incrustées sur une masse ombragée, comme un précieux coquillage sur la pointe d'un récif; parfois plaquées comme de lourds panneaux sur de grêles étais ; parfois se prolongeant, dans leurs briques pétries de soleil et de pluies, en suites dociles à la courbe d'un canal, prêtes à s'écarter sur la fente d'une calle. Si elles donnent bien rarement ce sentiment d'espace mesuré qui se dégage de l'ostensible projet d'une architecture, elles suggèrent pourtant de façon puissante le sentiment du plein. Un plein aussi imprécis, aussi abandonné dans son développement aux lois sourdes de la vie, que le sont les formations calcaires que sécrètent certains mollusques. On peut aussi, dans certaines soirées de grosse lune où les trous noirs des fenêtres béent sur les façades aplaties, penser que, derrière, tout s'est peut-être effondré comme, au premier toucher, certains champignons blancs, tout renflés, se réduisent en poussière. Mais c'est rare: plus que n'importe où ailleurs, on sent que la ville respire _ par les voies toujours tortueuses de la respiration humaine, mais sans contrainte.

Liliana Magrini "Carnet vénitien" ( Le promeneur 2002)

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