Il y a une parole confiée au silence, que l'ombre nous transmet. Une
parole d'effacement qui est parole de tendresse. Peut-être
pourrions-nous aussi parler de bonté. Lavis d'ombre sans que soit
raturée cette lumineuse coulée qui la contient. Mais plus proche de
notre dénuement. Je crois à cette parole d'ombre. Elle n'est pas jeu de
lumière ou de solitude mais ce que nous pouvons comprendre d'un dialogue
qui se fait, qui se défait en nous. A chaque instant. Car nous ne
pouvons comprendre que l'ombre. La brisure de l'éclat.
Affamés
de soleil, de cette lumière violente qui nous pousserait hors des
limites (les prétentions ont été bien réduites!), nous sommes pourtant
ce versant d'ombre, c'est notre pente. Je crois à cette parole d'ombre.
Ma main glisse sur la table, devient multitude de touches impossibles à
décrire. Pousse la parole à l'impuissance. Ombre de l'ombre! Simplement
posée là, et quel murmure de sang et d'ombre, quelle certitude du
fardeau un instant déposé! Je crois à cette légèreté quand c'est l'ombre
qui m'y conduit. Passagère, passante, c'est le voile pudique sur la
suffisance, la vulgarité. Elle vient ruiner le cri. Elle ouvrira demain
mon regard à la lumière, et je consentirais peut-être à l'entendre, elle
aussi, sans déchirement. C'est la seule leçon, la discrétion de cette
ombre qui s'éloigne.
Pierre-Albert Jourdan "L'espace de la perte" dans le livre "Le bonjour et l'adieu" (Mercure de France 1991)
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