J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 11 octobre 2013

Camus 2

Panelier 1. Avant le lever du soleil, au-dessus des hautes collines, les sapins ne se distinguent pas des ondulations qui les soutiennent. Puis le soleil de très loin et par-derrière dore le sommet des arbres. Ainsi et sur le fond à peine décoloré du ciel on dirait d'une armée de sauvages empennés surgissant de derrière la colline. À mesure que le soleil monte et que le ciel s'éclaire, les sapins grandissent et l'armée barbare semble progresser et se masser dans un tumulte de plumes avant l'invasion. Puis, quand le soleil est assez haut, il éclaire d'un coup les sapins qui dévalent le flanc des montagnes. Et c'est apparemment une course sauvage vers la vallée, le début d'une lutte brève et tragique où les barbares du jour chasseront l'armée fragile des pensées de la nuit.

1 Pour des raisons de santé, Camus passa plusieurs mois, de l'hiver 1942 au Printemps 1943, à Panelier, près du Chambon-sur-Lignon.

Albert Camus Carnets II (1942-1951)

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