J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 12 juin 2015

Les livres prennent soin de nous




Bien après l'enfance, certains êtres continuent de s'écorcher partout, aux angles du monde et aux rugosités des hommes. Ce sont les écorchés vifs, ils comptent parmi eux un grand nombre d'écrivains. Comment l'écriture alors les protège-t-elle? Comment peut-elle revêtir d'une peau celui qui se présente nu dans la vie, soit qu'il n'a pas été aimé, caressé suffisamment, soit que sa sensibilité excessive l'expose, inconsolable, à toutes les arêtes?
C'est que le manuscrit peut tenir lieu de sparadrap. Le journal intime est un révulsif, une sorte de cataplasme qui attire les douleurs et laisse le corps sain.
(...)
Ecrire semble être pour certains le sentiment et la volonté énergiques de sécréter, à force de matins, un squelette externe, comme ces crustacés imprégnés de chitine et caparaçonnés de plaques dorsale et ventrale. Le monde en veut à ma peau...Chez tous les hypersensibles, la carapace est une fin: une fois constitué le bouclier, la bête enfin prend du repos et peut s'endormir à l'abri. Toutefois la carapace de l'écrivain n'est pas seulement une protection contre autrui, mais un moule dans lequel il travaille à se couler: une carapace protectrice sans cesser pourtant d'être exploratoire, une enveloppe nouvelle qui multiplie la sensibilité au lieu de vous claquemurer, une armure qui écoute et qui voit bien mieux que la chair à vif.

Régine Detambel " Les livres prennent soin de nous" Pour une bibliothérapie créative
( Actes Sud mars 2015)

3 commentaires:

estourelle a dit…

ô combien

mémoire du silence a dit…

J'aime beaucoup cet auteur
et Oh ! combien le titre de son livre dit vrai
;-)

mémoire du silence a dit…

cette auteure
devrais-je dire