C'est un rocher de granite où
chaque année depuis que je sais marcher je viens poser ma fatigue ,
mes peines et mes joies : il surplombe prés et forêts mais
par dessus-tout il donne à voir l'autre versant, celui des songes.
Il suffit de s'asseoir sur sa peau rugueuse recouverte de mousse et
de lichen, de laisser pendre les jambes et de porter son regard sur
le pré qui s'étale au-dessous, sur l'arbre mort seul sur la
pente, empli de majesté, puis vers les lointains, de l'autre côté
du val étroit où coule une rivière. Se déclinent alors les
hameaux naufragés qui s'éclairent le soir et dont les noms se
murmurent en un chapelet de mots avec la voix du père dans l'oreille
– Saint-André de Chalencon, Vérines, Saint Julien d'Ance, Laprat,
Chaumont … - . D'un regard circulaire je bois jusqu'à la lie ce
paysage où mes yeux ricochent de collines d'écume en forêts de
vent et de sentiers d'ombres en poussières d'étoiles, et
reviennent s'accrocher aux branches mortes de l'arbre qui se tient
ferme au milieu du pré, portant avec noblesse tous ceux qui ne sont
plus : à leur souvenir , je baisse un peu les yeux. Peu de
choses ont changé au fil de ces années, quelques arbres en moins,
quelques maisons de plus, et toujours ces grosses pierres en granite
qui ourlent le contour de l'étoffe verte, déjà bien jaunie cette
année. Je sais que c'est là qu'est né ce regard décalé que je
pose sur les espaces, sur les plis, les parenthèses, les visages et
les ciels qui se consument devant moi. Sur le miroir du soir et sur
les bleus des jours.
Texte écrit pour la consigne d'été de Kaléidoplumes
1 commentaire:
les mots nous amènent à voir ces roches, superbe texte
Enregistrer un commentaire