J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 29 juillet 2015

Regard


C'est un rocher de granite où chaque année depuis que je sais marcher je viens poser ma fatigue , mes peines et mes joies : il surplombe prés et forêts mais par dessus-tout il donne à voir l'autre versant, celui des songes. Il suffit de s'asseoir sur sa peau rugueuse recouverte de mousse et de lichen, de laisser pendre les jambes et de porter son regard sur le pré qui s'étale au-dessous, sur l'arbre mort seul sur la pente, empli de majesté, puis vers les lointains, de l'autre côté du val étroit où coule une rivière. Se déclinent alors les hameaux naufragés qui s'éclairent le soir et dont les noms se murmurent en un chapelet de mots avec la voix du père dans l'oreille – Saint-André de Chalencon, Vérines, Saint Julien d'Ance, Laprat, Chaumont … - . D'un regard circulaire je bois jusqu'à la lie ce paysage où mes yeux ricochent de collines d'écume en forêts de vent et de sentiers d'ombres en poussières d'étoiles, et reviennent s'accrocher aux branches mortes de l'arbre qui se tient ferme au milieu du pré, portant avec noblesse tous ceux qui ne sont plus : à leur souvenir , je baisse un peu les yeux. Peu de choses ont changé au fil de ces années, quelques arbres en moins, quelques maisons de plus, et toujours ces grosses pierres en granite qui ourlent le contour de l'étoffe verte, déjà bien jaunie cette année. Je sais que c'est là qu'est né ce regard décalé que je pose sur les espaces, sur les plis, les parenthèses, les visages et les ciels qui se consument devant moi. Sur le miroir du soir et sur les bleus des jours.


Texte écrit pour la consigne d'été de Kaléidoplumes


1 commentaire:

Lin a dit…

les mots nous amènent à voir ces roches, superbe texte