J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

mercredi 8 juin 2016

Cousus ensemble


Un vizir droit sorti de l'imagination d'un écrivain des Lumières - mais lequel? - constate, au soir de sa vie, que les moments heureux qu'il a eus, cousus ensemble, feraient à peine une matinée. Une heure vient où l'on ne peut plus se contenter, comme on faisait, de s'en retourner, en pensée, à tel instant de grâce dont le  rayonnement a survécu au passage et nous atteint encore, à travers la durée. On se surprend à les inventorier parce que la liste, à l'évidence, est close. Rien ne peut plus nous arriver de bon. C'est du passé.

J'ai décidément oublié le nom du vizir, s'il en a un, quel auteur français l'a inventé, la teneur des moments parfaits, peu nombreux, qu'il a connus, à supposer qu'ils soient mentionnés, ce que je ne crois pas, enfin où et quand j'ai pu lire ça. Une chose m'a surpris, lorsque mon tour est venu de procéder au décompte. C'est que, pour une bonne partie, ces moments me furent inexpliqués et le demeurent. Je vois très bien quelle raison j'ai eue de me réjouir de tel ou tel événement . Il changeait le cours de mon existence, comblait une attente, passait, parfois, rarement, mon espérance . Mais d'autres, qui me viennent spontanément à l'esprit, n'ont aucun titre précis à le faire et, pourtant, ils accourent aussitôt.

Pierre Bergounioux "Cousus ensemble" ( Galilée avril 2016)

1 commentaire:

Ange-gabrielle a dit…

Comme c'est juste : nous avons tous de ces moments parfaits qui ne nous ont pas marqués au moment où on les a vécus mais dont la flamme subsiste par delà les années sans que l'on sache exactement pourquoi et qui contribuent à maintenir une lumière, même vacillante, dans nos vies.