J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 30 septembre 2016

La vie verticale




Ces jours aussi où Will et moi on est dehors pour attendre le train. Je n’ose pas lui dire mais il n’arrête pas de se mettre sur mon ombre. Je me déplace discrètement, l’air de rien, pour ne pas qu’il marche sur moi horizontale mais lui nonchalant me piétine encore. J’angoisse terriblement mais je ne peux pas lui dire, car il fait déjà beaucoup d’efforts pour ne pas me vexer avec sa perception de gens normaux. Mais là, oui ça me froisse, ça me froisse au sens propre, je sens ma peau tirer se déchirer à l’endroit où ses pieds écorchent le sol. Je touche ma joue percée par les cailloux coincés sous sa semelle, forcément Will ne soupçonne même pas qu’il me coupe à distance. Je l’entends de loin me raconter une histoire sur laquelle je ne peux pas me concentrer tant qu’il marche sur mon visage et mon ventre. Je bouge encore car il se déplace, grignote de plus en plus l’intérieur me piétine sans savoir et j’ai mal mais je ne peux pas lui dire je le regarde il parle encore, je sais qu’il raconte une histoire que je vais devoir faire semblant d’avoir entendue mais je touche ma joue car il s’acharne sur elle maintenant, il fait tac tac tac avec sa semelle des mouvements de batterie qui m’entaillent même sous les cheveux derrière maintenant, la douleur s’amplifie. Derrière la transpiration qui me descend des sourcils je vois encore ses lèvres remuer et je hurle MAIS PUTAIN ARRÊTE DE BOUGER et je pleure de sentir du sang invisible me recouvrir la main qui essaie d’arrêter l’hémorragie que lui ne voit pas, et d’un coup il veut me prendre dans ses bras pour me réconforter mais pour venir vers moi il appuie encore ses grosses godasses sur ma gueule écrasée et mes lèvres se déchirent sur le côté, les commissures s’ouvrent larges entailles et découvrent des dents mal lavées, les gens se moquent, je vois leurs doigts pointés vers mon sourire forcé, la plaie qui me traverse le visage, et plus personne n’est là alors je cours chercher de l’aide, chercher quelqu’un qui me recoudra vite sans me marcher sur moi sombre.

L'auteur et l'éditeur seront présents mardi 4 octobre à 19h à la médiathèque de Tarentaize à Saint-Etienne pour présenter ce livre  . Venez nombreux!



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