Comment ? C’est ainsi que tu es trop tôt parti ! PAN, à bout
portant. D’un seul coup de feu. Qui ne m’aura pas laissé le temps de te
connaître. Mais qui résonne encore – PAN, à bout portant – dans la nuit.
J’ignore s’il m’est permis de te tutoyer ; je pourrais ne pas
m’adresser directement à toi, ne dire ni tu ni vous, les laisser parler,
eux, les aînés, ceux et celles qui t’ont vue de leurs yeux vu.
Seulement, eux se taisent, elles se taisent, et c’est ce silence, cette
chape de plomb que je veux entailler. Je sais que mieux vaudrait me
taire à mon tour, respecter des morts au moins le silence, la boucler
pour de bon, te rejoindre en tes ténèbres. Comme chacun de nous je
présume, j’en ai l’ivresse les nuits d’insomnie, les nuits sans oubli,
les nuits où l’on voudrait que le monde s’arrête, qu’un séisme ouvre la
terre, que les murs tuent. Seulement, tu m’as visité en songe trop
souvent ces nuits-là, nous avons guetté trop d’aubes côte à côte, je me
suis senti trop de fois envahi par ton regard noir, vieillissant sous
tes rides, pour qu’il me soit permis de continuer à t’ignorer ainsi,
l’air idiot, sans souffler mot. Tu serais bien étonné de l’apprendre :
tu te dis peut-être, depuis ta terre à toi, que tu n’es rien pour moi,
rien pour ceux de notre temps. Mais sois rassuré. Tu ne seras pas un
personnage. D’où ce tu que je veux te donner, d’où ce monologue que sur
du papier je veux t’adresser.
Emmanuel Ruben "kaddish pour un orphelin célèbre et un matelot inconnu" ( Les éditions du sonneur 2013)
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