J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 27 avril 2018

Caché dans la maison des fous



Au cours des jours qui suivirent, Denise avait placé ses pas dans ceux du poète pour aller à la rencontre de ces êtres singuliers que la société ne voulait pas entendre, qu'elle voulait empêcher d'émettre d'insupportables vérités. Elle avait croisé des femmes de craie, des femmes de suie à la recherche des clefs d'or de l'espace interdit, d'autres dont les longs charrois de nuit et d'aube, à petit feu, avaient dégradé le corps, dévasté le cœur...Elle avait interrogé le regard, pourri par des flots de tristesse, d'une ancêtre qui donnait aux rats la fin de sa vieillesse, qui ne parlait plus, qui ne mangeait plus. Une fille de rien aussi, sortie de la nuit noire par une étoile dérobée pour commander qu'on l'aime à jamais. Une reine, bien plus tard, aux os calcinés, à la couronne brisée, dont l'innocence faisait peur aux enfants...
Puis ils étaient entrés dans l'enclos de pierre parsemé de croix anonymes, balayé par le vent de la Margeride qui allait porter loin ces mots qu' Eluard murmurait pour la première fois:
                         Ce cimetière enfanté par la lune
                      Entre deux vagues de ciel noir
                      Ce cimetière archipel de mémoire
                      Vit de vents fous et d’esprits en ruine
 
                        Trois cents tombeaux réglés de terre nue
                     Pour trois cents morts masqués de terre
                     Des croix sans nom corps du mystère
                     La terre éteinte et l’homme disparu
 
                        Les inconnus sont sortis de prison
                     Coiffés d’absence et déchaussés
                     N’ayant plus rien à espérer
                     Les inconnus sont morts dans la prison
 
                        Leur cimetière est un lieu sans raison.
 
Didier Daeninckx "Caché dans la maison des fous" ( Editions Bruno Doucey 2015)

2 commentaires:

Patrick Lucas a dit…

terrible

mémoire du silence a dit…

Lu d'une traite il y a un mois environ, et j'ai eu beaucoup d'émotion à découvrir cette tranche de vie de Denise Glaser. La naissance des "Sept Poèmes d'amour en guerre" de Paul Eluard, et les prémices de l'Art-Brut.
Un livre qui m'a réconciliée avec le terme "asile" "un endroit qui met à l'abri de la folie du monde" comme le dit le Dr Bonnafé.