J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

vendredi 13 juillet 2018

Compte triple

Mettre ses pas dans ceux d’un personnage qui a sifflé un air envoûtant sans doute, mais refuser rapidement d’être le jouet de la flûte de Hamelin, alors bifurquer et se laisser enivrer par cette odeur si reconnaissable entre toutes celles qui partent en fumée, celle du clan, ce tabac qui se fumait autrefois dans les pipes, plein d’arômes fruités , et visualiser en quelques flashs les gestes qui précédaient : les pincées saisies entre les phalanges, extraites de la blague à tabac puis glissées au fond du fourneau, le tassement, très léger , par accumulation de ces brins , le craquement de l’allumette, avec l’odeur de souffre, ou le briquet à gaz avec le pouce qui tournait une mollette – ce briquet laqué noir et or caressé sur le bureau du père – ou appuyait sur le bord droit, la flamme au-dessus du fourneau et l’aspiration qui s’en suivait pour que le tabac, sans qu’il s’embrase , délivre cette suave odeur et ce goût un peu âpre dans la bouche. Tasser un peu dans le fourneau avec le bourre-pipe , s’asseoir sur le seuil de la porte ou devant la cheminée en fumant doucement, goûter sur le palais ce qui irradie, ne pas aspirer trop fort , garder les doigts sur le fourneau mais sans installer trop longtemps en bouche cette pipe de bruyère… Laisser remonter toutes ces sensations et se perdre dans des visions lointaines… L’homme au clan s’est évaporé pendant ce laps de temps! Ne pas réfléchir et entrer dans une boulangerie , acheter des rouleaux de réglisse pour combler un manque qui, on le sait, est dangereux pour la santé… et songer aussitôt à ces bâtons de réglisse, achetés dans une minuscule épicerie dans le village de vacances, conservés entre les lèvres pendant des heures, qui s’effilochaient avec lenteur et laissaient un goût doux , un peu amer et quelques traces colorées aux commissures des lèvres…. Reprendre pied dans l’aujourd’hui et maintenant, poursuivre le chemin d’errance dans les rues de la ville , s’adosser à un arbre d’un petit jardin public, après en avoir caressé l’écorce selon les habitudes de l’enfance, contempler ce qui est, et marcher sur le revêtement qui donne une impression d’élasticité, posé au pied des jeux où grimpent les enfants, et sentir son corps devenir très léger…

10 ème texte (correspondant à la proposition d'écriture de la vidéo 10) pour  l'atelier d'écriture d'été animé par François Bon sur son site Tiers-Livre: " Construire une ville avec des mots".

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