Je vais devoir, le temps d’écrire et de parler, faire semblant que
quelqu’un me tient la main. Au moins pour commencer, seulement pour
commencer. Dés que je pourrai libérer cette main, j’irai seule. Pour
l’instant, j’ai besoin de m’accrocher à cette main, et peu importe si je
ne parviens pas à inventer ton visage, ni tes yeux, ni ta bouche. Bien
que tronquée, cette main ne m’effraie pas. C’est l’amour qui me l’a fait
inventer et si je ne peux pas rattacher cette main à un corps, c’est
uniquement parce que je ne suis pas capable d’aimer suffisamment. Je ne
suis pas en mesure d’imaginer une personne entière parce que je ne suis
pas une personne entière. Et comment imaginer un visage quand je ne sais
pas de quelle expression de visage j’ai besoin ? Dès que je pourrai
libérer ta main si chaude, j’irai seule et dans l’horreur. J’assumerai
l’horreur jusqu’à ce que s’accomplisse la métamorphose et que l’horreur
devienne lumière. Pas la lumière qui naît du désir de la beauté et de
l’ordre moral tels que je les voulais autrefois, sans en être
consciente, mais la lumière naturelle de ce qui existe, et c’est cette
lumière naturelle qui me terrorise. Encore que je sache bien que
l’horreur, l’horreur c’est moi en face des choses.
Clarice Lispector "La Passion selon G.H." ( Editions des Femmes 1998)
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