J'avance, avec de l'ombre sur les épaules. ( André Du Bouchet)

samedi 6 octobre 2018

La passion selon G.H.



Je vais devoir, le temps d’écrire et de parler, faire semblant que quelqu’un me tient la main. Au moins pour commencer, seulement pour commencer. Dés que je pourrai libérer cette main, j’irai seule. Pour l’instant, j’ai besoin de m’accrocher à cette main, et peu importe si je ne parviens pas à inventer ton visage, ni tes yeux, ni ta bouche. Bien que tronquée, cette main ne m’effraie pas. C’est l’amour qui me l’a fait inventer et si je ne peux pas rattacher cette main à un corps, c’est uniquement parce que je ne suis pas capable d’aimer suffisamment. Je ne suis pas en mesure d’imaginer une personne entière parce que je ne suis pas une personne entière. Et comment imaginer un visage quand je ne sais pas de quelle expression de visage j’ai besoin ? Dès que je pourrai libérer ta main si chaude, j’irai seule et dans l’horreur. J’assumerai l’horreur jusqu’à ce que s’accomplisse la métamorphose et que l’horreur devienne lumière. Pas la lumière qui naît du désir de la beauté et de l’ordre moral tels que je les voulais autrefois, sans en être consciente, mais la lumière naturelle de ce qui existe, et c’est cette lumière naturelle qui me terrorise. Encore que je sache bien que l’horreur, l’horreur c’est moi en face des choses. 

Clarice Lispector "La Passion selon G.H." ( Editions des Femmes 1998)

Aucun commentaire: