L’ermite fuit le bruit. Il se cherche un silence loin du
tumulte des villes. L’ermite sent vivre en lui une poésie qui se
chuchote. Sa quête consiste à découvrir le lieu où il puisse exprimer
cette poésie personnelle, trouver ses mots et prendre le temps de les
dire. Son inspiration réside en partie dans la critique qu’il adresse à
ses contemporains, leurs vaines ambitions, leurs soucis d’épargne, leurs
places dans la mondanité. Mais ici la critique n’est qu’un prétexte. La
motivation viscérale de l’ermite et de sa fuite dans les bois est
d’essence naturaliste. La forêt est pour lui l’image non déformée de ce
que devrait être le monde. Sa forêt d’ailleurs n’est pas seulement faite
d’arbres et d’oiseaux, elle prend corps dans le socle minéral d’un
granit sans âge, elle se gorge de terre humide pleine d’escargots et de
scolopendres .
Sa forêt est tout simplement le monde premier, archaïque et beau
de la violence de ses orages à la douceur de sa pluie. C’est dans cette
nature primordiale que l’ermite laisse pousser les mots sauvages de sa
poésie. Arrivés à maturité, il les cueille et leur donne une place dans
le poème de sa vie. Son recueil de poèmes est l’herbier de ses
randonnées méditatives.
L’ermite a la fuite douce. Un jour, lassé du vacarme des
boutiquiers, il part s’installer dans la frugalité d’une cabane de
planches dont les murs ne sont pas assez épais pour le couper des chants
des oiseaux. Ses fenêtres n’ont pas de rideaux et le soleil qui entre
n’est jamais mal accueilli. L’ermite est le fuyard apaisé. Son horizon
ne cherche pas la ligne courbée de la fin du monde mais l’abri
tranquille de la voûte des branches.
L'ermite est en vacances du monde. Il se consacre à l'arpentage des chemins, à l'inventaire des coléoptères, à l'appréciation poétique d'un coin de mousse. Pour lui, le retour à son état de conscience passe par le mouvement binaire de ses pas, balancier d'horloger fidèle à la régularité de son souffle. Il passe aussi par ses mains, gestes précis et concentrés du fendeur de bûches, du cuisinier de simples, du cordonnier de l'ordinaire. Alors l'esprit se libère et l'ermite peut enfin entrer en poésie, faire de sa forêt le terreau de son état de pleine conscience, il n'a plus besoin que d'une plume et d'une feuille de papier pour être le témoin fidèle de l'intimité des bois.
Pourtant il ne faut pas s'y tromper, cet ermitage-là est bien une fuite. Ce n'est pas seulement une retraite méditative, un stage de pleine nature pour réparer le mal-être citadin. L'ermite fuit dans les bois avec la force de la dernière désespérance, seulement il fuit en marchant, baluchon sur le dos, chapeau de paille et paille à la bouche. Sa baguenaude apparente n'est pas faite de la fébrilité d'un départ mais de la sérénité d'un retour. L’ermite ne part pas dans les bois, il y revient. Il veut goûter à
pleins poumons le souffle gourmand de sa primordialité, il cherche à
nouer de nouveau son expérience à sa nature la plus minérale. Il rentre
chez lui pour y connaître enfin l’étymologie de lui-même.
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